Chapitre trois

1K 138 57
                                    


Son frère fronça les sourcils comme à son habitude, manifestant sa surprise par ce simple mouvement sur son visage. Ils ne pouvaient être plus différents l'un de l'autre. Étienne était tout en sobriété, les émotions semblant lui être inconnues. Clément savait que ce n'était pas le cas, qu'Étienne était juste plus doué que lui pour les gérer et qu'il ne s'embarrassait pas de faux-semblants.

Toutefois, le sourcil haussé un peu plus que d'habitude, indiqua à l'aîné que son cadet était réellement étonné de le voir.

« Clément ?

— Salut. Désolé de te déranger.

— Tu ne me déranges jamais. Tu t'assoies au comptoir ou tu veux te mettre à une table ?

— Au comptoir, je... je peux te parler ?

— Bien sûr. Laisse-moi deux minutes le temps de servir les derniers arrivés. »

Il n'y avait pas foule à cette heure, un samedi, des habitués du quartier  sortis chercher un journal qu'ils lisaient en buvant leur café.

En quelques minutes, dans le lieu chaleureux, Clément sentit que son cœur tapait moins fort, que le sang affluait à nouveau à son visage. Même son estomac se réveillait devant les paniers garnis de viennoiseries.

Il avait pris la bonne décision. L'avait-il prise ? Il se demandait encore s'il était sorti de ce long cauchemar ou s'il y était encore.

Il jeta un œil à Étienne qui servait ses clients avec un sourire microscopique. Pourquoi avait-il peur à ce point de ce que son frère pourrait bien penser ? Ils ne passaient pas beaucoup de temps ensemble, ils avaient six années d'écart mais ils n'étaient pas complètement des inconnus, pas encore. Clément se demanda depuis quand il n'avait pas pris de nouvelles de son frère, quand est-ce qu'ils s'étaient vus pour la dernière fois ? Ça ne remontait quand même pas à Noël, non ?

Clément ne s'était jamais senti comme un modèle ou une aide, alors que son cadet traversait la vie avec facilité. Tout semblait glisser sur Étienne, comme sur un revêtement imperméable et il n'attendait rien d'extraordinaire de la vie, se contentant de son bar qui était presque sa deuxième maison. Célibataire et sans enfant à trente-neuf ans, il n'en faisait pas une affaire et le vivait bien, continuant à servir cafés et bières avec flegme comme si c'était son seul objectif dans la vie.

« C'est pas la forme, dis-moi, fit Étienne en revenant derrière le comptoir et en s'activant à la machine à expresso, jetant le marc, remettant du café, utilisant la buse vapeur pour faire mousser le lait avec des gestes sûrs avant d'y ajouter un peu de chocolat en poudre. »

Étienne déposa une grande tasse de cappuccino devant Clément et la compléta d'un croissant posé sur une serviette en papier doré, rescapée des fêtes de fin d'année. Clément posa les coudes sur le comptoir pour éviter de s'effondrer devant cette petite attention.

« Je n'ai pas faim, s'excusa Clément.

— Ben tu manges quand même. Un croissant, y'a pas besoin d'avoir faim. Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Je... J'ai besoin d'habiter chez les parents quelques temps, avoua l'aîné, presque honteux.

— Un problème avec ton colocataire ? demanda Étienne. »

Clément ne savait toujours pas si Étienne mettait un sous-entendu ou non dans cette appellation de Thierry. Il ne les avait jamais présentés l'un à l'autre, n'avait jamais posé les choses. Étienne n'était jamais venu chez lui et la notion de colocataire était restée quelque chose de flou et d'indéfini. Jamais il n'y avait eu de mots, parce que Clément était juste incapable de les dire. On ne parlait pas chez eux.

Tu dormiras un jour (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant