Chapitre cinq

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Clément tourna son visage contre la vitre quand Gwen éclata de rire. Il n'aimait pas ça, il avait l'impression de se retrouver lors d'une soirée avec les amis de Thierry avec leurs plaisanteries comprises d'eux seuls. Il se souvint de ces moments où l'humour se faisait à ses dépens parce qu'il ne connaissait pas tel écrivain, tel philosophe du douzième siècle, qu'il n'avait pas regardé un film d'auteur monstrueusement ennuyeux.

Il se sentait honteux de son inculture. Non, il ne lisait pas beaucoup, et non, il ne retenait pas des lignes entières de citations juste pour les ressortir à des moments adéquats. Du moins pas le genre de citations appréciées par les amis de Thierry. Clément aimait les choses pas prises de tête, difficile de placer un « Yippee-kai, pauvre con ! » dans une discussion d'intellectuels.

Heureusement, lors de ces soirées interminables, Clément pouvait s'éclipser dans la chambre-alibi, celle qui n'était là que pour le décor. Il n'était que le colocataire de Thierry, jamais son petit-ami ou son conjoint, jamais autre chose qu'un pauvre gars que Thierry disait subir pour faire baisser le loyer. Au début, Thierry lui avait dit attendre le bon moment. Il n'était jamais venu et quand Clément avait reparlé de sortir du placard, Thierry avait réagi par des crises, des colères et tout à la fin, des menaces.

Une fois sur deux, à l'issue de ces soirées, Thierry lui faisait remarquer à quel point il était associable, incapable de discuter avec des gens. Mais qu'avait-il à dire à des gens qui parlaient assurance, placement bancaire ou voyage dans des endroits où Clément n'irait jamais. Oui, Gwen pouvait dire que Clément était gentil. Ce n'était même pas vexant en fait, c'était même loin de la vérité. Clément n'était pas gentil, il était profondément idiot.

Gwen remarqua qu'il avait vexé son nouveau collègue et essaya de se rattraper.

« Et t'as des loisirs ? Vous faîtes quoi dans vos trous paumés pour vous divertir ?

— Le soir, on décortique les noix et on trie les cerneaux à la lumière du feu, ça peut facilement nous occuper une bonne partie de la saison, répondit Clément d'une voix égale, sans éloigner son front de la fenêtre.

— Quoi ? fit Gwen, un sourire hésitant se glissant sur son visage.

— Sinon, Gaston, en bas du village, il nous invite des fois, parce qu'il a la télé. En couleurs !

— Tu serais pas en train de te foutre de moi, là ?

— A ton avis ? rétorqua Clément en se tournant enfin. »

Gwen explosa de rire et le châtain finit par esquisser un sourire.

« Arrête ! T'es pas si vieux que ça, non ? questionna Gwen.

— J'ai quarante-cinq ans, informa Clément. » Il avait dû faire un petit effort de mémoire pour se rappeler son âge, perdu dans les méandres du temps.

« Ouais, ça fait que onze de plus que moi. J'ai trente-quatre. Je sais, je fais gamin. »

Gwen sourit ce qui eut pour effet d'accentuer la jeunesse de son visage et Clément apprécia le « que onze », c'était déjà une belle différence.

« Attends de tourner les quarante, les années comptent double, murmura Clément.

— Les années ou les soucis ?

— Les deux. »

Ils laissèrent passer un moment. Et Clément, devant les efforts déployés par Gwen, relança la conversation :

« Et toi, t'habites où ?

— Chez mon oncle, pour l'instant, en attendant de trouver. »

Le jeune homme grimaça.

Tu dormiras un jour (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant