Chapitre six

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Clément rangeait la paperasse de ce dernier jour dans une chemise quand une main lui tapa sur l'épaule. Il avait entendu le camion de Karima et Francky et se doutait fort de l'identité de l'homme derrière lui.

La semaine était enfin terminée et il rêvait de se glisser sous une douche chaude pour délasser son dos, la seule chose qui faisait effet avec les médocs, médocs dont il avait largement abusé.

« Alors ? Ce nouveau ? interrogea Franck.

— Ça va, répondit Clément. »

Il ne pouvait pas vraiment dire le contraire. Même s'il avait bien compris que Gwen ne l'appréciait pas, il n'avait aucun commentaire négatif à faire sur le boulot. Gwen était tel que décrit par son oncle, volontaire et appliqué.

« Et du coup, il est où ? demanda Karima en arrivant à leurs côtés. On l'emmène boire une bière pour fêter sa première semaine ? Je l'ai toujours pas vu, moi ! »

Clément se sentit mal, c'était un peu une habitude de payer un verre aux nouveaux gars mais il n'avait même pas pensé à le proposer à Gwen. Le plus jeune était rentré avec son oncle et Clément avait juste pris cinq minutes pour déposer les papiers au bon endroit.

« Pas cette fois, dit-il.

— Ok. Ça a l'air d'un foutu petit con quand même ! rigola Francky.

— Pourquoi ? Oh bon sang, t'as voulu jouer à qui était le plus burné des deux ? s'effara Clément, à deux doigts d'éclater de rire.

— C'est pas vrai ! soupira Karima. Bon, qui a gagné ? »

Francky eut un sourire d'enfant. A presque soixante ans, son collègue restait un abominable garnement. Sa plus grande fierté consistait à asseoir son autorité de mâle dominant en broyant la main des autres lors de poignées de mains viriles.

« J'ai gagné. Sauf que quand il a récupéré sa main, il m'a glissé que si je voulais savoir qui avait la plus grosse, on pouvait aussi comparer mais que j'étais pas sûr de gagner.

— Ah quand même... Et... ?

— Ben, on s'est marrés.

— On va commencer à avoir un nombre de crétins assez inquiétant dans cette équipe, nota Karima.

— On a un bon quota, c'est sûr, marmonna Clément. Heu... Je ne suis pas compté dans les crétins ? »

— Ça dépend des jours, fit-elle. »

Francky tapa sur l'épaule de Clément en s'esclaffant puis sourit à Karima. La présence d'une femme dans la construction était rare mais elle avait fini par être acceptée de partout. Quand ce n'était pas le cas, Karima maniait le cloueur avec une dextérité sans faille, menaçant certains gars à la manière de Clint Eastwood :

Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un cloueur chargé, et ceux qui ont une p'tite bite. Toi, t'as besoin d'une loupe pour pisser.

Clément adorait voir le visage de certains se décomposer.

« T'inquiète, dit Francky, je pars à la retraite dans pas longtemps. Juste le temps de former le petit con pour atteindre mon niveau. »

Clément sourit légèrement.

« Personne n'égalera jamais ton niveau...

— J'espère bien ! ricana Franck. Bon week-end, petit ! Dis au gamin qu'on le veut lundi soir ! »

Karima le suivit, en défaisant ses longs cheveux du chignon dans lequel elle les avait enfermés. Clément contempla les boucles brunes et grises retomber en harmonie sur le dos de sa collègue. Il avait toujours admiré la facilité avec laquelle elle conjuguait son travail dans un milieu très masculin et sa féminité, ainsi que son statut de mère. D'ailleurs, elle disait elle-même qu'elle avait vite appris que c'était impossible de réussir les trois sans finir à l'asile. Alors, elle lâchait du lest, ne visait pas la perfection – hé, ses gamins étaient toujours vivants – et se foutait bien de ce que pouvait penser les gens.

Tu dormiras un jour (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant