Filiation

Chapitre 2

Pendant presque une semaine, Severus ne dessaoula pas. Il buvait méthodiquement jusqu'à oublier son propre nom, puis tombait dans une bienheureuse inconscience. Dès qu'il ouvrait les yeux et que ses démons revenaient le hanter, il recommençait. Il ne gardait les idées claires que pour aller se ravitailler à l'épicerie du coin, et il ignorait le regard dégoûté du vendeur - qui devait penser qu'il était le digne fils de son père.

A aucun moment il ne se préoccupa des conséquences de ses actes. De ce qui adviendrait de lui s'il était appelé par sa Marque et qu'il ne se présentait pas devant son Maître. Il avait perdu le goût de vivre, et ses erreurs laissaient un goût de cendres dans sa bouche. Même s'il ne se l'avoua pas, il espérait presque être tué.

Ce fut Lucius qui débarqua un matin dans le taudis qu'il appelait maison. Le Lord plissa le nez de dégoût, et appela un elfe, à qui il ordonna de remettre Severus sur pieds. Puis, il métamorphosa une vieille chaise décrépie en confortable fauteuil et s'installa, attendant que le parrain de son fils à naître ne soit de nouveau cohérent et en état de réfléchir un minimum.

Face au regard furieux du blond, Severus grogna, se refusant à le remercier. Il n'avait rien demandé, et ne voulait pas être aidé. Il avait juste besoin de se perdre pour oublier l'ampleur de ses erreurs.
La voix du Lord claqua sèchement.
- A quoi tu joues, idiot ?
Boudeur, Severus s'enferma dans un silence puéril. Cependant son air renfrogné ne sembla pas décourager Lucius puisque celui ci roula des yeux, et pinça les lèvres.
- J'ai ma petite idée sur la raison de ton état, mais laisse moi te rappeler que ton comportement risque de t'attirer des ennuis, Severus. Le Maître ne pardonnera pas ce genre de comportement, pas avec ta position enviée parmi nous.

Comme le Maître des potions persistait dans son mutisme, l'aristocrate laissa échapper un juron entre ses dents serrées et se dressa devant lui, martelant chaque mot d'un coup de sa canne.
- Je me souviens de l'obstination stupide que tu avais pour la fille Evans, avant que je ne quitte Poudlard, Severus. J'ai aussi entendu parler de la façon dont les choses avaient tourné. Potter et ses amis qui te martyrisaient littéralement sous les yeux des professeurs, sans que personne ne lève le petit doigt. Et elle qui t'a tourné le dos au moment où tu avais le plus besoin d'elle. Cesse de t'entêter avec cette fidélité mal placée et reprends toi ! Elle ne mérite certainement pas que tu te laisses tuer pour elle !

La fureur brilla dans les yeux noirs et Severus se redressa, piqué au vif.
- Tu ne comprends pas !

Mais Lucius ricana, l'air mauvais.
- Je ne comprends pas quoi ? Que tu es stupidement amoureux de cette sang-de-bourbe traîtresse ? Même si tu sacrifies ta vie pour la sauver, elle ne te verra jamais autrement. Elle a saisi la première occasion pour te rejeter et elle ne te regardera jamais comme tu le souhaites !

Severus vacilla et il ferma les yeux. Son ton était glacial quand il ordonna à Lucius de quitter sa maison et de le laisser en paix.
Juste avant de passer la porte du taudis, Lucius ne put s'empêcher de le prévenir.
- Je ne reviendrais pas te tirer de ton coma éthylique Severus. Je ne suis pas du genre à m'entêter auprès des causes perdues et je ne suis pas loin de penser que tu en es une.

Si Lucius Malefoy s'était douté des conséquences de sa visite et de ses paroles, il aurait peut être réfléchi à deux fois avant de se rendre chez Severus. Loin de retomber dans l'alcool, le Maître des potions avait soigneusement réfléchi aux paroles de l'aristocrate et il y avait eu un écho en lui.

Il avait conscience qu'il avait perdu Lily pour de bon, et s'il devait être honnête avec lui même, il s'était attendu à la perdre dès l'instant où elle avait posé le regard sur lui. Il n'avait jamais été aimé réellement après tout, même sa mère l'ignorait la plupart du temps, trop occupée à éviter les coups de son ivrogne de mari.

Lily Evans lui avait offert un peu d'attention et lui, il était tombé amoureux d'elle. Irrémédiablement amoureux. Lucius avait raison sur un point : il ne l'aurait jamais. Elle ne le regarderait jamais de la façon dont elle dévisageait Potter, elle n'envisagerait jamais d'avenir avec lui. Peut être que Tobias Rogue avait eu raison du fond de son alcoolisme : il était un monstre, et il n'était pas digne d'être aimé.

Cependant, il l'aimait assez pour vouloir la protéger. La sauver sans rien attendre en retour.

Il savait qu'implorer la clémence de Voldemort était vain. Il ne récolterait qu'une longue séance de torture et devrait probablement assister à la mise à mort de celle qu'il aimait tant en guise d'avertissement. Le Seigneur noir avait un humour particulier après tout, et un sens de la punition particulièrement pervers.

Il savait également que seul, il n'avait pas la moindre chance de réussir à contrer le Mage Noir. Le défier en combat singulier se terminerait par sa propre mort et Lily serait toujours en danger.

Il lui restait une unique solution. Se livrer à Dumbledore et lui proposer ses services en priant pour ne pas être immédiatement jeté à Azkaban. Lui promettre sa vie pour que le Directeur de Poudlard accepte de protéger Lily. Il savait qu'en faisant ça, il protégeait aussi Potter, mais après tout... il avait une dette de vie envers lui, datant de Poudlard et de l'ignoble plaisanterie de cet idiot de Black, ce serait un excellent moyen de la régler définitivement et de couper tout lien avec l'insupportable Gryffondor.

Severus ne prit pas le temps de réfléchir plus : sa décision prise, il partit directement pour Poudlard, le cœur battant sans pour autant montrer les tourments qui l'habitaient.
Devant l'école où il avait tant souffert, il hésita un instant, puis demanda à voir le Directeur. Dumbledore l'attendait dans son bureau, vêtu de ses robes chatoyantes, un petit sourire aux lèvres et les yeux insupportablement pétillants.

Il fut accueilli comme l'enfant prodigue. Comme s'il avait fait parti des élèves préférés du Directeur.

Severus resta égal à lui même. Renfrogné et sombre, il déclara brutalement que Lily Evans était en danger. Le vieil homme se permis de le corriger avec un rire malicieux.
- C'est Lily Potter désormais, mon garçon. Mais il est vrai que je ne vous ai pas vu à son mariage...

Le cœur lacéré, Severus serra les poings mais attendit le verdict, alors que Dumbledore le dévisageait avec attention. Finalement le vieil homme haussa les épaules.
- Nous sommes tous en danger en cette période sombre. Et James et Lily sont conscients des risques d'autant plus qu'ils se placent en première ligne régulièrement.