Chapitre 9

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Vis ta vie, Cendrillon.


Au-delà de la petite fenêtre, les nuages couvrent les champs de toits plats de Brooklyn. Le brouillard des rêves m'offre un court répit dans ce monde en pause. J'émerge, là où la réalité aspire le peu de vie qui m'anime. Je suis seul. Si je m'y attendais, le constat ne rend pas les événements de la veille moins illusoires. Les chiffres rouges m'annoncent la septième heure d'un matin inhabituel. Je m'adosse à la tête de lit, tiraillé entre une faim monstre et la tentation de me rendormir.

En pleine délibération, les balais de la porte d'entrée frottent le lino collant, précédant un Louis surexcité, des courses en équilibre entre les bras. Je réajuste en vitesse les draps sur mon torse tandis qu'il fonce à travers la chambre et envahit le bureau de briques de jus d'orange, de donuts, d'une boîte de Lucky Charms et de quatre sacs Mini Mart.

T'es debout depuis longtemps, la marmotte ?

Devine.

Il est tôt. Je sais.

Hm. Pourquoi tu fais des allers-retours ?

Son sweat deux tailles supérieures à la sienne dévore son visage. Sous la capuche qu'il rabat, sa mine pâle raconte sa nuit tumultueuse.

Pour que personne ne pose de questions de l'autre côté du pont tiens.

Je veux dire, pourquoi t'es revenu ? Tu me surveilles ?

Il s'empare d'un donut au fond du sachet et s'installe sur le rebord du sommier, la bouche déjà recouverte de sucre glace.

J'ai pas dormi, alors j'en ai profité pour ramener des provisions. Mange.

Il me secoue la moitié de sa pâtisserie au nez. Mon estomac affamé, plus que son regard insistant, m'encourage à accepter.

Ça explique la sale gueule.

T'es pas obligé d'être désagréable. Je t'ai apporté ton p'tit déj'.

T'as jamais réussi à m'acheter avec de la nourriture, c'est pas aujourd'hui que ça va commencer.

J'avais oublié à quel point t'étais imbuvable au réveil.

Le moral réchauffé par le sucre, nous échangeons un sourire détendu. Je ne me souviens plus de la dernière fois où l'évocation de nos matins ensemble n'a pas remué en moi une mélancolie amère.

Je me passerais bien d'une baby-sitter, mais merci pour la bouffe. Combien de temps ça va durer les pique-niques au lit ?

Je te l'ai dit, je ne sais pas vraiment, quelques jours peut-être.

C'est abstrait.

Aussi abstrait que mes idées d'issues potentielles. D'ailleurs, j'ai récupéré ton ordinateur et ton portefeuille, faut croire que t'es toujours autant à l'ouest. Au moins tu as ta carte bleue, tes papiers et ta Metro Card.

Je croyais que le but était de se cacher ?

Il engloutit la fin de son donut et s'essuie du bout de la langue, imperméable à l'étrange rappel que j'ai prononcé.

T'évites le secteur de Manhattan, sinon ça ne sert à rien. Et le Queens. En fait, limite-toi à Brooklyn, c'est plus sage.

Wow, une autorisation tourisme !

Walking a Tightrope (LS) ✓Où les histoires vivent. Découvrez maintenant