T'en tires une tronche, t'as vu un fantôme ?
Ce matin, le tourbillon infernal de Manhattan me rappelle à l'ordre. Je n'ai jamais été aussi heureux qu'aujourd'hui de n'avoir que cinq étages à dévaler pour atteindre ma destination. Le soleil ricoche sur les murs immaculés de la galerie. A travers mes doigts en guise de protection, une silhouette se dessine. Niall, mon associé, griffonne sur un de ses calepins. Ses mèches décolorées et son sourire sont assortis à cette matinée de printemps, fraîche et mordante. Je m'accoude de l'autre côté du comptoir. Il relève les yeux et me fait signe de m'essuyer la joue d'un air suggestif.
— Salut chef ! On est tombé du lit ?
Je rejoue la tragédie de mon réveil, gracieuseté des klaxons new-yorkais. De toute évidence, j'échoue à en effacer les preuves.
— Hmpf, trace de l'oreiller c'est ça ? je réponds.
— Je sais que tu vis juste au-dessus, Harry, mais quand même.
— Oh ça va. Je viens intercepter la dernière livraison, pour ma défense, et puis t'es pas censé être off toi aujourd'hui ?
— Tu suis plutôt pas mal pour quelqu'un qui a foiré son Master de gestion.
— Ouh l'humour matinal, dangereux !
Il juge ma réplique d'une moue dubitative et range son crayon dans la poche de sa chemise hawaïenne.
— Le compte est bon ! s'écrie-t-il. Toutes les invit' ont été envoyées.
— T'assures. File te reposer maintenant, je gère.
— T'es mignon de partir du principe que j'ai mieux à faire. Je vais nous chopper des cafés, je sais pas comment t'arrives à fonctionner.
— Le sang anglais, Niall, le sang anglais.
— Ah ça ! Tu me laisses jamais l'oublier.
Il sort un billet de son portefeuille puis, le clin d'œil facile, franchit la porte en direction du coffee shop voisin.
La légende défend sa part de vérité. Les rêves sont à New York ce que l'art est à l'âme : un monde de possibilités. Cette galerie n'a rien à envier à la grotte londonienne que j'avais repérée. Nous l'avons achetée une bouchée de pain, bouchée plus chère qu'ailleurs, mais prometteuse. Placée au cœur de SoHo entre une boulangerie française et un concept store, sa devanture en fonte attire les curieux. La lumière s'engouffre dans la salle principale où cohabitent l'acier des poutres, le chêne du comptoir et le patchwork des œuvres du vernissage. Nous ouvrons dans une semaine et voilà le triple que nous nous activons à la remettre au goût du jour. Au gré de ses courses café quotidiennes et de nos pauses-déjeuner sur la fontaine du Washington Square Park, Niall est devenu l'oreille attentive qui m'a aidé à me sentir chez moi en terre étrangère.
Une terre étrangère que je dois encore conquérir. Je dompte mes boucles en un chignon, résolu à m'atteler aux cartons de la remise. Ces fichues boîtes se reproduisent par dizaine pendant que je règle leur compte. Sur les étagères de l'arrière-boutique, j'expose soigneusement ma collection de croquis de Stefan Zsaitsits offerte par mon père en l'honneur de mon premier job, l'unique démonstration d'affection monnayée que j'ai tolérée de ma courte vie. Ah, cette galerie aussi. Niall Horan est le fils d'une de ses connaissances d'école rencontrée lors de son échange à Columbia. Mon père a insisté pour nous mettre en contact, une belle preuve du néant de sa confiance en moi sous couvert de hasard. J'ai déguerpi de ses pattes à cette condition. Je le convaincs d'être plus que le gamin branleur qu'il voit en moi, il s'abstient de juger mon mode de vie – dépravé et utopique, selon lui et sa copine l'homophobie internalisée. Il a toujours pris soin de me matraquer mes échecs, de mon diplôme en management de l'art inachevé à mes renvois systématiques des structures qui ont consenti à me former grâce à son influence, et de reléguer mes réussites au rang de détail – y compris le succès de l'exposition étudiante à l'Académie Royale des Arts où il ne s'est jamais pointé. Il a qualifié mon besoin d'autonomie dans le travail de caprice et a fini par m'en accorder une sous tutelle. De toute façon, seul mon ex m'encourageait à m'opposer à mon père.
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Walking a Tightrope (LS) ✓
FanfictionLouis a finalement réussi. Il a une vie. Harry aussi a réussi. Il a reconstruit la sienne. En débarquant à New York, la ville qui ne dort jamais, Harry ne pensait pas réemployer le présent pour parler de lui, et encore moins découvrir la raison de s...