Chapitre 10

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Rejette-moi, que je passe à autre chose.


On s'était promis de venir ici.

Le regard de Louis me flambe la peau alors que je fixe la Skyline, le souffle coupé. La majesté du paysage compense l'inconfort des cailloux de la berge déserte où nous sommes installés. A gauche, le pont de Brooklyn court jusqu'à Manhattan et ses labyrinthes de béton. A mes pieds, les rochers trempent dans l'East River, opaque et frémissante. Les effluves d'essence des bateaux vont et viennent au gré du clapot et des souvenirs, ces longues heures paresseuses à rêver du monde et de cette vue.

Alors, qu'est-ce que tu en penses ? s'enquiert-il.

Que ça fait du bien de s'aérer un peu.

Je tire un reste de paquet de cigarette de ma poche compressée. J'ai commencé pour emmerder mon père, lui faire goûter à l'arrogance d'une modèle réduit de lui qui le prendrait en exemple, et maintenant, une laide habitude crie mon nom dès que je patauge en société. Je m'allume la dernière sous l'air ahuri de Louis.

T'as recommencé à fumer en dehors des soirées ?

Non, aussi en cas de cavale forcée faut croire. Je n'avais juste jamais coché cette case avant.

Je t'inciterai bien à surmonter tes vices mais...

Mais tu serais très mal placé pour parler.

Son rire tinte, semblable à des clochettes de lutin ; un son revenu d'entre les morts qui m'expose à ce que je fuis. Son tee-shirt outrageusement transparent calque les motifs de son torse, ceux de son dos lorsqu'il s'appuie en arrière sur ses bras. Des bourrasques régulières dérangent ses mèches libérées du gel. Il les chasse de son front, insensible aux quinze degrés plafonnant, courtoisie de ses gènes anglais. A ses mimiques d'adolescent, j'omets qu'il n'en est plus un.

Donc, c'est quoi le plan ? je l'interroge à travers mes pensées oppressantes et une bouffée de fumée.

J'ai besoin de toi.

Pour le plan ? Oui, je dois te faire confiance, je sais. Ton disque est rayé. De toute façon, je crois qu'on tient tous les deux à se tailler de là rapidement.

Non, j'ai besoin de toi.

Ah oui, excuse-moi. Tu me gardes à ta disposition au cas où tu sois amené à me parier... encore. J'oublie vite.

Non. Jamais. J'ai besoin de toi.

Je m'immobilise. Le vent scelle son aveu voué à mourir au premier orage.

Définit un besoin.

Le caillou au creux de sa paume atterrit au fond du fleuve avec son attitude détachée.

Tu ne te demandes pas ce qu'on aurait été, si je n'avais pas merdé ?

Pas plus tard qu'il y a une heure, pour être honnête.

Je suis de bonne humeur. Ne la ruine pas.

Écoute, j'ai ruiné ce qu'il y avait à ruiner. Je hais cette vie calculée qui est censée me protéger des gens dont j'ai peur.

Quelle vie ? Tu ne vis pas. T'es une machine. Tu montes et tu descends les escaliers de ta tour, tu étires de temps en temps les muscles de ta bouche sur une autre et tu...

Walking a Tightrope (LS) ✓Où les histoires vivent. Découvrez maintenant