Lumières & Origines : I - L'autre côté du Temps

Chapitre 6 - Audace (Samay)

Musique : Bipolar Nightmare - NieR Automata

Audace

Teano nous précipita si vite que j'en sombrai dans la confusion. Au fur et à mesure que les minutes s'égrainaient, je sentais mon cœur se serrer. Pourquoi devait-on aller chez moi ? Pourquoi éviter chez Teano à tout prix ? Nous avions pris soin d'envelopper la Phélidus dans de petites couvertures que nous a laissées la famille d'Annabelle. Pour ne rien arranger, il pleuvait des cordes. Pas le temps de les remercier ou encore de faire nos adieux à Almaë. Teano courait plus vite que tout le monde.

— Putain, mais tu déconnes total Teano ! Je savais que tu cachais un truc ! Pourquoi t'as rien dit ? criai-je, la pluie ruisselant sur mon visage.

— Tu comprendras quand on sera tranquilles, j'pouvais pas faire mieux !

Les luminaires jonchant les rues éclairaient faiblement la voie. Quand mon regard se posa sur Kieran, je remarquai qu'il semblait plus paniqué que nous tous.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? m'enquis-je.

— Regarde... c'est quoi ça ?

Il pointa du doigt des passants. À la manière d'une cassette réversible, les habitants semblaient faire marche arrière et tressauter. Des lignes numériques bleutées les remplaçaient par intermittence, puis ils réapparaissaient tout à coup sans même réaliser le phénomène. Sara observa la scène à son tour avant de se tourner vers nous.

— Les gens ne voient rien ?

— Dépêchez-vous ! beugla Teano.

Rien ne s'arrangeait. Après les Lausois, ce fut le tour d'enseignes, de voitures, de feux de signalisations et même à la couleur des cieux de changer pour passer d'un bleu sombre à un rouge ocre. L'environnement entier se métamorphosait. Je sentis mes pensées subir le même effet, comme si je n'étais plus entièrement maître de ce qui me venait à l'esprit. Presque sur le point d'oublier même jusqu'à qui j'étais.

— Qu'est-ce qu'il a encore foutu ton père ? lança Malden. Arrête un peu de le couvrir ! Au stade où on en est, ta réputation n'a plus aucun intérêt !

— C'est tout ce que tu trouves à dire ? rétorqua Teano.

— Tu passes ton temps à nous cacher les pires conneries de ton père parce que t'as honte ! Et maintenant tu joues au mystérieux pour retarder ça encore et encore ! Depuis le temps qu'on se connaît, je... attends... depuis combien de temps est-ce qu'on...

Une sensation étrange m'assaillit tandis que j'écoutais Malden. Ses yeux jaunes en amande et sa voix grave échappaient progressivement à ma mémoire. Une part de moi le reconnaissait, mais j'avais aussi l'impression d'être face à un inconnu. Je commençais à me sentir seul parmi des adolescents dont j'ignorais tout. Puisque nous venions d'atteindre l'interphone de mon immeuble, je les bousculai avant de sortir mon badge de ma poche et de le coller au digicode. Tout en continuant ma course, je compris que ce processus d'oubli ralentissait lorsque je m'appliquai à les regarder le plus longtemps possible. Je voyais dans leur regard qu'ils subissaient également cette amnésie progressive. Mes yeux croisèrent ceux de Sylvania et avant qu'elle n'observe les cieux, je criai à mon tour.

— Ne regardez pas ailleurs ! Regardez-moi ! Regardez-vous !

Ainsi, nous continuâmes jusqu'à atteindre l'appartement familial. Une fois en haut, nous trouvâmes mon père aux fenêtres du salon. La lueur de ce rouge et rose irradiant depuis les cieux enrobait la pièce entière. Lorsqu'il se retourna vers nous, je découvris un visage inexpressif.