Chapitre 3 - Fluctuations (Malden) [Partie 2/2]

54 14 32
                                    

Issue d'une famille aisée, elle vivait avec sa mère dans une grande résidence où l'on retrouvait les Lausois les plus riches. J'étais impressionné chaque fois que je mettais les pieds chez Sylvania : tout était toujours si propre ! Le salon me paraissait immense et tout ce que je voyais semblait avoir une valeur inestimable. Les murs de marbre gris et sobres étaient décorés de toiles fantastiques. Des Atmologistes y affrontaient Carniocs et autres créatures sauvages dans les cieux, déchaînant diverses forces élémentaires.

— Chaque fois que tu viens, tu ne peux pas t'empêcher de laisser tes yeux collés sur le tableau du salon. Tu sais, je vais finir par demander à ma mère si je peux te l'offrir hein ?

Je sursautai avant de rougir. Ces peintures m'absorbaient toujours à un tel point que je perdais tout contact avec la réalité. L'idée qu'on puisse y interpréter une certaine convoitise m'embarrassa.

— Ah non, surtout pas ! C'est juste que... j'aimerais vraiment avoir un talent pareil. Tu sais, je vois à quel point le jeu de couleurs est maîtrisé et ça me rend fou ! Entre l'éclairage, le contraste qui sépare les Atmos sur la toile... l'expression de la douleur sur le visage des créatures et même les effets du vent. C'est incroyable ! Chaque fois que je le vois, j'ai l'impression que c'est la première, mais j'ai un autre prodige à admirer !

— N'abuse pas ! Je m'en sors tout juste grâce aux cours que me donne ma mère pour reproduire des classiques. Pour mes créations, ça reste à voir... je ne suis pas très à l'aise avec l'idée d'innover, j'ai peur que ce soit désagréable à l'oreille, aussi parce que...

— Eh, Sylva ! l'interrompis-je. C'est pas grave, faut bien essayer dans la vie.

— Mais si tu trouves que c'est moche, vous allez sûrement pas vouloir de moi dans votre groupe.

— L'art n'est jamais parfait, et c'est ce qui le rend aussi cool. Mais attends... tu veux tellement intégrer le MTK qu'en fait, j'ai même pas besoin de te convaincre ?

Elle hoqueta de surprise et mit ses mains devant sa bouche. Sylvania s'était piégée. L'idée de faire partie de ce groupe de musique qui se formait l'intéressait probablement plus que tout, mais elle ne souhaitait pas que cela soit si évident. À l'époque, j'étais bien incapable de le réaliser.

— C'est vrai, soupira-t-elle. Bon, assez de temps perdu. Assieds-toi sur le fauteuil. Je vais te jouer ce petit morceau. Je me suis inspirée de « rocking horse » par « Etolica. ».

Sans ajouter un mot, je m'installai confortablement sur le siège de velours noir. Sylvania prit place à son tour sur le petit banc pourpre où elle s'asseyait habituellement pour jouer du piano. Elle me donna son dos, positionnant ses doigts sur les touches avec délicatesse. Je l'entendis prendre une profonde inspiration avant d'interpréter les premières notes de sa composition. Le départ fut maladroit, mais tout aussi vite, elle joua avec plus d'assurance, et les accords se firent en douceur. C'était comme si l'on me contait un formidable récit. Sa dextérité m'impressionnait toujours. Je m'approchai alors pour mieux admirer sa performance. Elle était face à la grande fenêtre, donnant sur une immense partie de la ville. En biais, je contemplai la fontaine de la grand-place, quelques habitations grisonnantes illuminées par le soleil ainsi que le souffle du vent sur les arbres environnants. C'était une belle journée, et Lausya entière semblait de sortie. J'admirai la vue, emporté par la mélopée de Sylvania. Et j'imaginais comment ces notes se lieraient à l'expertise de Teano à la guitare, la voix de Kieran ainsi qu'à mon jeu de batterie.

Durant ces trois minutes, l'écoute me transporta. Je me surpris à réadmirer la peinture trônant sur le mur du salon. Cette création et la composition de Sylvania allaient si bien ensemble... je m'y voyais alors, moi, je serais peintre de chef-d'œuvre et elle, pianiste professionnelle, auteure de mélodies liées à mes œuvres. Et celles-ci seraient enfin reconnues à travers le monde ! Un futur exaltant dont je m'extirpai dès lors que Sylvania donna la dernière note de son essai. Quelques secondes lui furent nécessaires pour renouer avec la réalité. Elle prit à nouveau une grande inspiration, se leva et tourna lentement son regard vers moi. La fenêtre étant restée ouverte, une bise froide traversa la pièce et secoua sa longue robe ainsi que ses cheveux. Cette image marqua profondément mon esprit. Je me jurai qu'un jour, cette scène serait peinte de mes mains.

Lumières & Origines : I - L'autre côté du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant