1er mai 2021 : rituels actualisés

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Je me faisais la réflexion que le défilé du premier mai, c'était un peu comme une manif de boomers. Un truc d'ancien. Pas totalement dans l'air du temps.

Déjà, on ne sais même pas pour quoi on défile. C'est juste... une habitude ? Pour le fun ? Parce que c'est un rituel et qu'on a toujours fait comme ça, alors pourquoi changer ? Pour certains, c'est le 14 juillet qui sert de grand moment de communion, mais d'autres préfèrent un défilé sans militaires, et il faut bien reconnaître que je suis de ceux-là.

Mais quand même, c'est pas comme les autres manifestations, il y a des signes qui ne trompent pas. Ça sent un peu la kermesse, au lieu d'être ce moment fébrile et inquiet où tout le monde se rassemble contre une énième loi liberticide. Là, c'est la fête, et il me semble que la moyenne d'âge soit même un peu plus haute.

D'ailleurs, on voit des choses qui fleurent bon l'ancien temps, comme des drapeaux ornés d'une croix et d'une faucille. Les gens qui le brandissent ont quasiment cinquante ans de retard avec l'actualité, parce que ça fait au moins depuis les années 1970 que tout le monde en France sait que l'URSS, c'était plus de goulags que d'utopies. On pouvait même en avoir quelques indices dés le rapport Khrouthchev de 1956, alors vraiment il serait temps de se mettre à la page.

Mais passons.

Ce défilé du premier Mai semblait comme infusé d'une mémoire qui dépassait largement mes propres souvenirs. Il y a un petit pan d'histoire qui revit avec nous, parce qu'on se sent comme les héritièr·es de deux siècles de lutte sociale. Derrière la fanfare tout le monde reprend en chœur des chants communards. Les banderoles rappellent les luttes passées, les générations marchent côtes à côtes et se rappellent parfois qu'on a pu gagner, aussi, à une époque qui me semble parfois révolue.

Et puis il y a d'autres choses qui sont très actuelles, très dans l'air de 2021. On est entourés de policiers armés jusqu'au dents, comme si nos cartons gribouillés de slogans étaient des armes. On sursaute à chaque bruit inexpliqué. On se demande sans arrêt « la fumée, devant, ce sont des fumigènes ou des gazs lacrymogènes ? »

Vous comprenez que ce n'est vraiment pas pareil. Les fumigènes, ça fait de belles photos et ça donne l'impression que notre révolte peut emplir tout l'espace. Mais ce n'est que ça, une sorte d'ornement esthétique douteux, pour donner un style au cortège.

 Mais ce n'est que ça, une sorte d'ornement esthétique douteux, pour donner un style au cortège

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Les gazs, au contraire, ça me fait peur. On les reconnaît d'abord à l'odeur, mais rapidement aussi à la sensation piquante qu'ils charrient. Quand ils arrivent jusqu'à nous, il faut faire demi-tour, mais avec le plus de calme possible, pour éviter de créer un dangereux mouvement de foule. Et puis il y a ce mélange de frustration et de colère parce qu'on est forcé de reculer, alors qu'on n'a strictement rien à se reprocher. La police ne gaze pas seulement les plus agressifs des black blocks, mais tout le cortège, avec son lot d'enfants, de personnes âges et de manifestantes paisibles dans mon genre. Que tout le monde en prenne dans la tronche, forcément ça nous révolte. Quand la vieille dame qui fuyait les gaz à côté de moi s'est tourné vers les flics pour leur adresser un retentissant « Facho ! Vous êtes des fachos ! », non seulement j'ai approuvé, mais en plus j'ai souri de voir qu'on pouvait garder la même ferveur toute la vie.

Les gaz lacrymogènes ne m'ont tout de même pas dissuadée d'avancer, et j'ai suivi le cortège jusqu'au bout de son trajet. J'ai répété les refrains anticapitalistes en me protégeant comme je pouvais de la pluie, j'ai pris les tracts qu'on me proposait, j'ai critiqué le gouvernement avec mes amis, et ça valait le coup.

J'ai même eu un élan d'émotion, lorsque après un virage, le cortège s'est avancé sous la haute silhouette de la cathédrale de Fourvière. Une clameur s'élevait du cortège, mélange de voix humaines et de crachotements délivrées par les enceintes du camion de la CGT. Devant nous, la vue se dégage, les fumigènes montent vers le ciel et les collines lyonnaises semblaient frémir.

J'ai compris l'intérêt d'être sortie braver les éléments, à ce moment là. C'est un moyen de se rappeler que l'on n'est pas seul·e, qu'il y en a d'autres, des gens qui croient au progrès – que nous pourrons, à chaque fois qu'il le faudra, marcher ensemble pour faire entendre notre voix.

Alors, même si mes cheveux dégoulinaient d'eau de pluie, que mes chaussures étaient trempées, et que la peau de mon visage était engourdie par l'action conjointe du vent et du crachin, ce n'était pas grave. Parce qu'envers et contre tout, j'avais chaud, ce jour-là.

***

(Les photos sont de moi)

Je m'étais promis de ne jamais aborder les sujets politiques sur Wattpad, parce que ça me transforme en cerbère. J'ai des opinions très affirmées mais ce n'est pas forcément la place pour ça, n'est-ce pas ? (J'ai peur que ça tourne en pugilat comme d'habitude sur le net)

D'un autre côté, je voulais ne rien m'interdire dans mes râleries quotidiennes. Le but c'est aussi d'écrire plus librement, comme ça me vient. Et puis j'ai déjà bien laissé transparaître mes opinions féministes...

Alors j'ai quand même posté ça, mais par pitié, si vous êtes du genre à préférer la police aux manifestants... Ne commentez rien -- ne serait-ce que par égard pour mes nerfs fragiles.

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