6 mai 2021 : rêves illusoires et perspectives cauchemardesques

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Quand j'ai dit à ma mère que j'écrivais un peu de fiction, elle a réagi comme elle le fait toujours : avec un enthousiasme disproportionné. Ma pauvre maman s'illusionne sans aucun doute sur mes capacités, et elle a tendance à surévaluer ce que je fais. Ne vous méprenez pas, c'est très confortable pour moi de lui en mettre plein la vue à si peu de frais, et la plupart du temps je ne la détrompe pas.

Elle s'est donc mise à rêver très rapidement de mon avenir, à « voyager pour faire des conférences » et à « publier dans toutes les langues ». Je n'ai pas osé lui dire que ce qui se présentait devant moi, si j'embrassais la carrière d'autrice professionnelle, c'était plutôt de flirter éternellement avec le seuil de pauvreté.

Il y a peu de métier si passionnément convoitées et si dangereusement précaires que celui d'écrivaine. J'avoue que je peine toujours à mesurer l'ampleur de l'arnaque, mais les multiples auteur·ices professionnel·les que je suis sur Twitter ont réussi à me dessiller sur mes rêves les plus naïfs.

Est-ce que vous avez entendu parler d'un certain Stéphane Marsan ? Mediapart a consacré un article aux pratiques de cet éditeur, accusé de harcèlement sexuel.

Et voici ce que Marguerite Imbert, une des témoins cités dans l'article, dit du monde de l'édition :

Le métier d'écrivain est intrinsèquement précaire. Merveilleux, mais précaire. L'auteur débutant est placé sous la gouvernance d'un éditeur dont le rayonnement protège et éclipse tout à la fois. Quoiqu'asymétrique, cette relation est souvent enrichissante et donne à l'auteur les outils de son indépendance au fil des années et de ses publications. Mais parfois, la maison d'édition se transforme en huis clos.

Et l'éditeur, investi des espérances d'auteurs et autrices précaires, abuse de sa position. Pour les femmes, c'est double peine. Lorsque la relation de travail tourne au harcèlement sexuel, l'autrice est piégée dans une rhétorique sexiste : le soupçon s'abat sur elle et son talent.

Faut reconnaître que ça fait moins rêver.

Le métier d'auteur, on se l'imagine auréolé d'un éclat quasi-magique, comme tous les métiers dont on peut rêver quand on est enfant. On passerait ses journées dans les livres, on imaginerait des histoires palpitantes avant de signer des dédicaces devant un public conquis. C'est le plaisir et la reconnaissance qui se rejoignent dans une fonction plus qu'idéalisée.

Et ce fantasme est si puissant qu'on est prêt à renoncer à beaucoup de choses pour pouvoir le toucher du bout du doigt.

Même quand il n'est pas question de violences sexuelles, le monde de l'édition a l'air redoutablement cruel. 41 % des auteurs professionnels vivraient avec moins que le SMIC, selon Samantha Bailly, présidente de la Ligue des auteurs professionnels. En conséquence de quoi, de nombreux·ses jeunes auteur·ices préfèrent prendre en charge l'intégralité du travail d'édition plutôt que de passer par une maison d'édition, mais même comme cela, il semble difficile de joindre les deux bouts.

Comme j'adore écouter des vlogs d'auteurs, j'ai découvert que Youtube regorgeait d'écrivains débutants, qui auto-publiaient leur premier livre tout en dispensant des conseils d'écriture sur internet – et en proposant un accompagnement personnalisé à ceux qui voudraient bien y mettre le prix.

Je ne pourrai jamais leur jeter la pierre, il y a une rage de réussir qui force l'admiration, mais en même temps... Ces personnes comptent sur des auteurs encore moins professionnels qu'eux pour investir dans la rédaction de leur premier roman. Il y a comme quelque chose de circulaire dans le procédé, non ? Vous peinez à gagner votre vie en tant qu'auteur, et vous faites de l'argent en encourageant d'autres personnes à se lancer pour devenir... auteur.

Vous savez à quoi ça me fait penser ?

Aux arnaques pyramidales.

Ne rigolez pas, il y a un truc. Suffit de lire la définition que Wikipedia en propose pour voir le lien :

La vente pyramidale est une forme d'escroquerie dans laquelle le profit ne provient pas vraiment d'une activité de vente comme annoncé, mais surtout du recrutement de nouveaux membres. Le terme pyramidale identifie le fait que seuls les initiateurs du système (au sommet) profitent en spoliant les membres de base.

On est en plein là-dedans !

C'est la même logique pour les maisons d'édition à compte d'auteur, avec qui on doit payer pour avoir l'honneur d'être publié. Les aspirants auteur sont littéralement les vaches à lait de tout un réseau d'arnaqueurs professionnels.

Comment ma mère a-t-elle pu accepter sereinement de me voir écrire ? C'est une carrière plus dangereuse que si j'aspirais à devenir dresseuse d'ours ou trafiquante d'armes.

C'est vrai que j'ai une petite tendance au pessimisme, mais plus je me renseigne, et moins je rêve de me faire éditer. Je dirais pas non si l'occasion se profilait, bien sûr, mais je serais bien folle de me démener pour arracher ma place dans ce milieu de dingues.

Franchement, est-ce qu'on n'est pas mieux, entre nous, sur Wattpad ?

***

Si vous avez envie de partager mon fiel et de creuser le sujet, voici les articles que j'ai cité :

https://actualitte.com/article/100126/tribunes/metoo-dans-l-edition-je-suis-jeanne-une-temoin-se-devoile

https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/le-monde-de-l-edition-n-est-pas-epargne-par-les-violences-sexuelles-une-responsable-de-la-ligue-des-auteurs-denonce-un-climat-d-impunite_3792661.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Vente_pyramidale

https://www.youtube.com/watch?v=dAalCiMKwaU

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