Chapitre 3 - La symphonie des gens perdus

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La symphonie des gens perdus - James, Lise & tous les autres

Les abysses.

Lise se réveille dans un monde noir, vide, et silencieux.

Enfin... Vide ? Pas tellement. A vrai dire, des millions d'êtres en noir et blanc, comme de vieux clichés, se déplaçaient là, errant telles des âmes en peine. Des hommes, des femmes, des enfants, qui arpentaient cet espace avec la même expression de souffrance sur le visage.

Lise regarda autour d'elle, et étrangement, se sentit à sa place.

Il suffisait d'un coup d'oeil à une quelconque partie de son corps pour remarquer qu'elle arborait la même couleur que tous ces êtres qui se traînaient au milieu de l'obscurité.

En quelques mots, elle était parmi les siens.

Des gens comme elle... Cette simple pensée allégeait son cœur considérablement.

Elle aurait presque pu arrêter d'avoir peur...

Un peu plus loin, un jeune homme l'observait. Il allait régulièrement dans les abysses, et cette jeune fille, il ne l'avait jamais vue...

Était-ce son premier passage ?

Si tel était le cas, son quotidien avait dû être terrible... Les perdus préféraient de loin le calme des abysses plutôt que les souffrances endurées dans le Grand Bâtiment Blanc.

Il continua à l'observer, de loin, puis se mit à la suivre lorsqu'elle amorça quelques pas, imitant la foule de personnes qui évoluait là.

Pour une fois, Lise savait parfaitement quoi faire. Ce monde sombre était définitivement ce qui lui était arrivé de mieux dans sa vie. Pourquoi n'y avait-elle pas été plus tôt ?

A vrai dire, elle n'avait aucune idée de comment elle était arrivée ici. Les nouvelles informations, les découvertes étranges, tout cela la secouait un peu, l'empêchant de comprendre avec exactitude où elle était et pourquoi elle y était.

Et c'est à cet instant, plongée dans ses réflexions, qu'elle se rendit compte que sa peur s'était envolée depuis belle lurette.

En fait, sûrement depuis qu'elle avait posé un pied dans ces abysses.

Le noir effraie souvent les gens, car ils ne le comprennent pas, ou plutôt ne cherchent pas à le comprendre... Mais de son côté, Lise se sentait apaisée, dans ce monde obscur.

James s'approcha d'elle, et lui prit soudainement la main.

La jeune fille se retourna lentement, pas le moins du monde apeurée, et observa avec calme le visage de celui qui avait interrompu ses pensées.

Lorsqu'elle voulut lui adresser quelques mots, elle se rendit compte qu'elle ne pouvait pas parler. Ce monde tenait sûrement à garder son silence. Cette règle lui plaisait assez, au fond...

L'homme se contenta de lui adresser un regard apaisant, puis ils se mirent à évoluer ensemble au milieu du flot de personnes qui avançaient lentement, sans savoir vraiment pourquoi ils avançaient et où ils allaient.

C'était une sensation étrange, de faire quelque chose sans savoir pourquoi, juste parce qu'on en a besoin...

C'est un peu un " retour aux racines ", lorsque l'Homme écoutait avant tout son corps et son instinct, pour savoir quoi faire et rester en vie le plus longtemps possible. A cette époque, il se contentait de vivre, en laissant son être agir de lui-même, sans chercher à expliquer tel ou tel évènement à tout prix.

Une époque bien différente de celle d'aujourd'hui, en somme.

Alors que nos deux perdus continuaient leur progression, une lumière blanche les aveugla. Voilà qui était surprenant, pour un monde censé être sombre des pieds à la tête...

Elle se sentit alors irrémédiablement attirée par cette lumière, tous comme les autres personnes présentes dans les abysses. A ce moment-là, elle put entendre la voix de James, qui murmura, d'un ton las et torturé :

" La boucle continue et se répète, encore et encore... "

Horrifiée, Lise comprit ce que cela signifiait...

Elle retournait, une fois de plus, au Grand Bâtiment Blanc.

Pourquoi...

" Pourquoi ?! ", pensa-t-elle, en fermant furieusement les yeux. Elle ne voulait pas retourner là-bas ! Elle cria ainsi cette phrase plusieurs fois, employant toutes ses forces afin de rester dans les abysses... Et à sa grande surprise, cela fonctionna.

La lumière blanche s'évanouit, et, se frottant les yeux, elle put constater en promenant son regard autour d'elle qu'elle se trouvait toujours dans ce monde sombre et calme dans lequel elle se sentait si bien.

Mais un fin filet de lumière, qu'elle n'avait pas remarqué, se faufila vers elle et s'enroula brusquement autour de son cou, serrant plus fort à chaque seconde qui passait.

Des larmes grises commencèrent à couler le long des joues de la jeune fille, qui priait pour s'en sortir, alors que la douleur et le manque d'oxygène faisait apparaître des points de couleur devant ses yeux.

Puis, elle se sentit tirée par ce filet de lumière, tirée encore et encore vers une destination qu'elle était sûre de connaître...

Le Grand Bâtiment Blanc.

Encore.

N'y avait-il aucun moyen d'échapper à cette fin ? Cette fin répétitive qui, d'après le jeune homme qu'elle avait rencontrée, ne s'arrêtait jamais ? Se répétait jusqu'à l'infini, inlassablement telle une boucle qui ne se briserait jamais ?

La lumière resserra son emprise sur elle, manquant de la briser comme un vulgaire bout de bois.

Son destin était-il de finir ainsi, étouffée par un éclat lumineux dont elle ignorait la nature ?

Non, elle refusait de mourir de cette façon... C'était ridicule.

Ses pensées s'arrêtèrent brusquement, comme si elles avaient été mises sur pause. Puis il y eut long moment de flottement, avant que Lise ouvre les yeux, étalée sur un sol terriblement blanc.

Elle sentit ses yeux s'envahir de larmes, pour la deuxième fois, lorsqu'elle comprit ce que cela signifiait.

Aussitôt, elle sauta sur ses deux pieds, furieuse et déterminée.

On l'avait jetée en dehors des abysses de la plus violente des manières, sans même une explication, pour la renvoyer dans un endroit qu'elle haïssait plus que tout ?

Comme si elle allait se laisser faire ! 

La dernière fois, elle avait atterri aux abysses en passant par sa fenêtre, alors... Il suffisait de réitérer l'expérience et le tour serait joué !

La jeunette s'exécuta aussitôt. Elle reproduisit chacun des gestes qu'elle avait effectué la fois précédente, persuadée d'arriver aux abysses sans encombre.

Mais lorsque son corps bascula dans le vide, elle comprit qu'elle se trompait.

Et la douleur de l'atterrissage était telle, qu'elle sut qu'elle n'ouvrirait plus jamais les yeux. Au moins, elle ne resterait pas dans le bâtiment blanc... Mais elle ne reverrait pas non plus ces si chaleureuses abysses...

Tant pis.

Elle laissa ce courant d'air frais étrange emporter son âme, enfin complètement apaisée...

Et peut-être que, dans sa prochaine vie, la boucle, le Grand Bâtiment Blanc et les abysses n'existeraient plus, et qu'elle pourrait enfin vivre normalement et paisiblement.

...

Ou pas.


La complainte des gens perdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant