Chapitre IV partie 4

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Comme Ascelin l'avait mise en garde, l'écurie était hors de prix ; et le patron n'en était pas très commode. Il avait été sorti de table en plein dîner et était d'humeur massacrante. Ses garçons d'écurie étaient déjà tous partis, aussi Mesha dut-elle préparer elle-même les deux stalles pour ses bêtes, les déharnacher, les panser et les étriller de ses propres mains, sans que le patron ne lui concède le moindre rabais sur son prix.

Elle était passablement agacée et irritée en rangeant les étrilles, paya le bonhomme de mauvaise grâce, laissa ses sacs et ses armes dans un coffre que le patron lui concéda, puis quitta l'endroit en emportant un sac d'affaires, une couverture, son coutelas d'assassin, et sa mauvaise humeur.

La nuit était noire et animée lorsqu'elle se trouva devant la porte de l'écurie – que le patron lui claquait violemment dans le dos – et sa bourse s'était sacrément amoindrie ; elle avait versé pratiquement le quart du contenu de la prime des deux criminels, soit la moitié de sa propre part.

Elle fut surprise de trouver Ascelin appuyé avec nonchalance contre le montant du portail de l'établissement, le regard baignant dans la pénombre humide et bruyante de la cité.

— Vous êtes encore là ? remarqua-t-elle.

— Vous avez encore avec vous ma prime pour la tête de notre ami pillard, répondit-il tranquillement sans se retourner.

Elle soupira et rouvrit la bourse. Plus personne aux alentours ne semblait pouvoir apercevoir la transaction, et l'obscurité les dissimulait en grande partie. Mesha compta les pièces qu'il lui restait et les transféra dans sa propre aumônière, puis lui tendit simplement la bourse, qu'il saisit avec une étrange surprise :

— Je ne pensais pas que ce serait si facile de vous faire cracher au bassinet, sourit-il.

Elle lui jeta un regard noir, qu'il perçut forcément même s'il ne tourna pas la tête en sa direction.

— Me prenez-vous pour une voleuse ? siffla-t-elle entre ses dents.

Il sourit de plus belle, avec son agaçante humeur désinvolte et malicieuse :

— Je ne pourrai vous considérer de la sorte, Mesha. Pas après la générosité qui fut vôtre pendant nos quelques jours en commun.

— Mmh.

C'était ainsi qu'ils allaient se séparer, elle le savait. Après tout, il avait désormais de quoi se payer quelques nuits dans une auberge correcte, s'offrir un bon repas, tandis qu'elle, c'était tout juste si elle pouvait s'offrir une nuit sur une paillasse infestée dans un bouge crasseux et mal famé. Elle serait repartie le lendemain, pressée d'atteindre Ardeville et l'atelier de Galore pour se délester de la bombe puante qui commençait à empester avec le reste des affaires laissées à l'écurie.

Alors, elle finit par soupirer :

— Votre compagnie m'a été agréable, tout compte fait. Qui l'aurait cru...

Il pouffa :

— Oui, c'est incroyable, hein ? railla-t-il. Qu'une personne aussi bougonne et asociale que vous finisse par s'abandonner aux plaisirs de la compagnie d'un autre être humain !

— Ah ! Vous savez ce que je veux dire...

Il répondit d'un sourire touché, puis se redressa en tirant sur ses épaules son mantel humide :

— Allez, venez ! offrit-il. Allons donc nous trouver un endroit où passer la nuit pour un prix correct.

— Hé bien... c'est que je n'ai plus grand-chose, pour payer ! admit-elle.

La Compteuse d'Âmes [publié en Auto Édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant