Chapitre 1 : La réception

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Madame Sullivan s'énerva pour la deuxième fois de la journée. Je tente une dernière fois de fermer les boutons de sa robe au niveau du décolleté, mais en vain. Depuis quelques mois, avec toutes les réceptions que leurs familles ont organisées, les invitations par-ci et par-là, elle a commencé à avoir un bon petit embonpoint. Dans un geste brusque, elle me repousse et décide de fermer d'elle-même les deux derniers boutons. Un des boutons saute lorsque la pression sur lui à été un peu trop excessif et vient rouler sur le parquet de la chambre. Je me pince les lèvres entre elles pour réprimer un petit sourire. Je le ramasse.

- Je vous vois, miss Evans, dit-elle exaspérée. Au lieu de me regarder ainsi de façon empotée, veuillez m'apporter une nouvelle tenue.

Lorsque madame Sullivan est prête et a fini de prendre son petit déjeuner, nous sortons en ville. Je remonte en vitesse au premier étage prendre mon chapeau que j'ai oublié au grand désespoir de ma patronne. Je n'ai jamais aimé cela, mais c'est une marque de bonne famille d'en porter un paraît-il. Je croise dans les escaliers mon amie Lizzie, la fille de la maîtresse de maison. Je ne dis aucun mot, mais nous touchons la main à notre rencontre avec un sourire complice quand sa mère m'appelle du hall d'entrée.

- Que vais-je faire de vous miss? Je n'ai pas toute ma journée, nous devons faire plusieurs achats pour la réception que nous organisons demain soir.

- Je vous prie de bien vouloir m'en excuser madame. Dis-je en tenant mon chapeau sur la tête en sortant de la maison.

Je commence à avoir mal aux jambes d'être autant debout à piétiner d'une boutique à une autre pour cette maudite réception de demain soir. Madame Sullivan, veut le meilleur pour tout. Même pour des choses insignifiantes comme des serviettes de table, il lui faut de la qualité. Je ne comprends toujours pas pourquoi monsieur Sullivan organise une soirée avec plusieurs officiers américains basés à Londres alors qu'il n'est pas dans ce milieu. Qui dit réception, dit que je vais finir tardivement je présume. Je soupire discrètement de mécontentement. J'aurais aimé avoir mon samedi soir afin de profiter de ma seule soirée avec mes amies. Entre les matins où je suis dame de compagnie et les après-midi où je suis obligée, par madame Sullivan, de prendre des cours et des leçons avec Lizzie sur tout ce qui pourrait être utile à une femme mariée de bon rang, je n'ai que mon samedi soir et mon dimanche pour en profiter. Sachant que mon dimanche est souvent réservé aux corvées ménagères et profiter de ma famille. Je tiens vraiment à ses quelques heures de liberté qui sont vraiment pour moi un exécutoire.

Je regarde les différents articles de l'argenterie de ce magasin sans vraiment y être attentive. Cependant, une fourchette en argent attire mon attention sur le comptoir. Un J et un M sont gravés côte à côte. Depuis quand grave t-on des initiales sur de simple couvert ? Des riches bourgeois assurément qui vont léguer l'argenterie aux futures générations.

Une main m'enlève la fourchette de la main avec un petit sourire crispé qui en dit long.

- C'est fragile. C'est pour un client, m'explique la vendeuse en prenant l'objet comme si c'était un trésor.

- Dieu, du ciel, miss Evans, ne touchez à rien ! N'allez pas casser quelque chose ou je devrais le retenir sur votre salaire ! me sermonne madame Sullivan.

Dieu du ciel ? Dois-je lui dire qu'il n'y a pas de Dieu du sol ? Non, il est préférable que je me taise et de garder mes réflexions pour moi-même.

- Oui madame.

Je me sens comme une enfant qui s'est fait gronder. Je reste à ma place sans bouger avec mon chapeau en main. Pour une femme qui était soi-disant pressée ce matin, elle a du temps pour jacasser avec la vendeuse. Pour chaque boutique, elle a pris plus de temps pour discuter avec chaque boutiquier, que pour ce dont elle avait vraiment besoin.

Le Naughty BeckyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant