Haletant, j'avance. Un pied. Puis l'autre. Je répète le geste. Mécaniquement. Chaque pas creuse le sable. Il m'avale un peu, me brûle, puis me relâche. Perpétuellement. Il n'attend qu'un faux pas de ma part, que je trébuche et me vautre, qu'il puisse me submerger entièrement. Le désert n'attend qu'un évènement : l'épuisement, la chute finale, un repas sans lutte.
Cela n'arrivera pas.
Jamais.
Il ne me reste que ma vie et de vieux vêtements. Mais leur présence ne fait aucune différence. L'astre de lumière me brûle à travers eux. Ainsi, il ne me reste que ma vie. Puisque c'est la dernière de mes richesses, je ne lâcherai pas prise.
Mes ridicules guenilles ne me servent pas. Râ se rit d'elles, les transpercent. À ses yeux, je suis nu. Il répand l'éclat de sa lumière léthale et pénétrante sur chaque être de l'univers entier, sans acharnement, mais sans plus de répit ni de pitié. Il m'irradie la peau à travers le tissu depuis tellement de temps que je ne le sens presque plus. Maintenant, je le sens embraser chaque gramme de chair et chaque millilitre de sang. Je cuis. Réellement.
J'espère halluciner.
Il s'agit de l'énième tentative, mais je vérifie quand même sans m'arrêter le récipient que je garde fermement en main depuis des heures. Je ne décèle pas plus d'eau qu'à l'essai précédent, c'est à dire pas la plus petite trace. Une simple lampée suffirait à me sauver la vie, pendant une heure de plus. Je sais qu'elle n'apparaîtra pas d'elle même. Mais le manque d'eau et la chaleur pesante me tiraillent tant que j'en perds le sens des réalités, par instants. Peut-être l'ai-je définitivement perdu, en vérité. Ceux à qui cela arrivent ne peuvent le réaliser.
La tranquillité des lieux m'exaspère. À l'image de prédateurs sachant que leur festin est déjà servi, que leur victime ne peut plus leur échapper. L'astre et le sable pensent que leur empire, qui semble s'étendre sans fin, est infranchissable. Un pauvre humain affaibli ne saurait y parvenir seul.
Mais qu'ils se méprennent. Dieu qu'ils se méprennent. J'ai vu et entendu un milliard de trucs qui n'étaient pas vraiment là, depuis que je marche, mais j'avance grâce à eux. Je fantasme sur mes sauveurs. Je sais que je les verrai d'ici une minute, là, cachés au creux d'une dune. Et ce ne sera pas un mirage. Il n'y en aura plus, je vais me reprendre.
Je vais...
Le faux pas tant attendu est arrivé. Je glisse sur la pente de la haute dune que je grimpais et m'étale sur le vaste piège jaune et brillant.
Et rien ne se passe.
Ai-je réellement cru que le désert m'avalerait, si je m'arrêtais... ?
Ah, la véritable génèse de ma crainte me renvient, maintenant que j'y pense : je savais que si je chutais, je n'aurais plus l'énergie de me relever. Et c'est bien le cas.
Je bascule face au ciel. Ensablé, je m'essuis lentement le visage. Peut-être que si j'attendais un peu, le temps de fermer les yeux...
Ce n'est pas envisageable. Je suis déshydraté, affamé, seul. Si je ferme les yeux, je n'aurais peut-être jamais la capacité de me réveiller. Si je ferme les yeux, je laisserai ma vie m'échapper.
Je me mets ainsi à ramper. J'avance. Un bras. Puis l'autre. Je répète le geste, mécaniquement.
Un bras... Puis l'autre... Un bras... Puis l'autre... Un bras... Puis l'autre... Un bras... Puis l'autre... Un bras... Puis l'autre...
*****
Un... bras... puis... bras... l'autre... puis... un...
Un... Un élément neuf se présente, là-bas, au-delà d'une centaine de dunes. Je rêve ? Il manquait plus que ça. Ce mirage vient se greffer à la liste interminable de ceux que j'ai vu jusqu'à présent.
Mais peut-être que c'est vraiment là.
Vrai, pas vrai, je n'ai pas d'autre alternative que d'avancer, et espérer que j'avance vers la vie.
La vie qui m'est due m'attend là bas, dans ce paradis perdu, au milieu de nul part.
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Lipogrammes
Short StoryQu'est-ce qu'un lipogramme ? Il s'agit simplement d'un texte dans lequel une lettre en particulier reste volontairement inutilisée. Devoir écrire avec ce handicap est un exercice d'écriture très enrichissant qui force à rechercher de nouvelles formu...