Contre-Pouvoir

Epilogue

Les bras croisés sur le toit de ma voiture, je pose mon menton sur mes mains et fronce un sourcil, analysant difficilement les sentiments qui m'envahissent.

— Bon, bah... soufflé-je, étonné par mes propres mots. C'est bon, tout est prêt.

— Tout est prêt, me confirme Timaël, accoudé à mes côtés, d'une voix aussi choquée que la mienne.

Nous admirons tous les deux notre oeuvre, pris entre fierté et angoisse, impatience et crainte. Demain soir, le restaurant "Chez TiMilo : a friend in me" ouvre ses portes. Des mois que nous y travaillons, pour ne pas dire des années. Des heures et des heures de discussions autour de notre concept, d'autres heures pour parfaire le projet, le vendre, s'assurer d'être soutenus, sponsorisés, entourés. D'être prêts, de taper juste, de ne rien oublier... Toute une histoire ! Un véritable parcours du combattant que nous n'aurions jamais pu mener à bien l'un sans l'autre.

Sur la carte, on retrouve des plats que Tim' perfectionne depuis toujours, jusqu'à la fameuse crème vanille donc je ne connais toujours pas l'ingrédient secret. Timaël est incroyablement créatif lorsqu'il s'agit de cuisiner. Il a appris auprès des chefs les plus réputés de la région, il a surtout exercé sa passion à notre table, auprès de nos amis communs ou respectifs. Il a enchanté toutes les compagnes que je lui ai présentées et tous les compagnons qui ont passé notre porte. Nous avons tous été des cobayes particulièrement consentants et satisfaits. Son palais est aussi affûté que son couteau de boucher et ses préparations d'une simplicité et d'une finesse exquises.

— J'y crois pas, ajoute-t-il.

— Moi non plus, j'admets.

Je me mets à siffler Don't worry, be happy, et Tim' éclate d'un rire nerveux et plein d'émotions. Au final, nous avons acheté tout l'immeuble, y investissant une bonne partie de ce que mon père m'avait laissé et empruntant le reste. Je vis dans l'appartement que nous avons partagé quelques années tandis que Tim occupe celui juste au-dessus de notre tout nouveau restaurant. Un ancien magasin de chaussures que nous avons entièrement réaménagé nous-mêmes, avec l'aide de nos proches. Ce restau', c'est notre projet, mais il a reçu beaucoup de soutien autour de nous, nous avons été aidés à chaque étape du processus. La déco, c'est ma mère qui l'a gérée : quelque chose de chic et un peu rétro, à la fois atypique, pour sortir du lot, unique, et passe partout, pour attirer un maximum de monde. Elle est fière, ma mère. Notre mère. Fière de nous voir progresser, de voir s'épanouir ces deux gamins qu'elle observe, couve et réprimande depuis leur plus jeune âge. Nous avons mené à terme cette folie que j'ai suggérée sur un coup de tête dans l'un des jours les plus sombres de nos courtes existences. On a tout traversé ensemble : le décès de mon père, le rejet de ses parents, leur bêtise et les épreuves de nos vies. Tout ce qu'on a vécu nous a liés plus solidement que le sont les doigts de la main. TiMilo, c'est maintenant plus que notre duo, c'est quelque chose de concret qu'on a monté de toute pièce tous les deux, à notre image, avec un joli autocollant "LGBT+ friendly" fièrement affiché sur la porte. Un refuge où tous seront toujours les bienvenus dans le respect de nos valeurs : la tolérance, l'ouverture d'esprit, le partage et un soutien inconditionnel.

***

Tim' sabre le champagne et les applaudissements retentissent autour de nous. Toute l'équipe est présente, notre entourage est présent, tous nos soutiens ont été invités. Dans deux heures, les premiers clients envahiront les lieux. Des invitations ont été envoyées, des réservations ont été faites, mais toutes les tables ne sont pas prises et nous sommes plus anxieux que jamais. Les nappes sont dressées, les plats, maîtrisés à la perfection et on peut espérer que les diverses personnes qui travailleront ici fonctionneront sans acroc : il s'agit là d'une famille qui s'est constituée sur la durée, chacun a appris à travailler avec les autres, et je crois que nous sommes tous prêts.