Chapitre 7

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Tim :
2h45 : Tu dors ?


Non, je ne dors pas : on est mercredi et je n'ai pas cours avant seize heures, de quoi prendre mon temps avant de me coucher et passer la soirée au téléphone avec Maïka. 30 minutes plus tard, je le retrouve sur la terrasse derrière chez moi où il m'attend, clope au bec et la jambe qui tremble tellement de nervosité qu'il va secouer toute la maison !

— Qu'est ce qu'il se passe ? je l'interpelle, pas tout à fait réveillé.

On se voit un peu n'importe quand maintenant, mais un message qui dit "J'peux venir ?" à trois heures du matin, c'est jamais bon signe...

— J'ai parlé à mon père, fait-il d'une voix monocorde.

Je reste muet, haussant un sourcil.

— Parler, genre... je lui demande, pas très sûr d'avoir compris.

— Genre ils ont fouillé ma chambre et trouvé des photos, grogne-t-il, visiblement furieux.

Aïe. Ils savent. Je me tais, c'est à lui de parler... Qu'il sorte ce qu'il a à me dire des horreurs de son paternel.

— Étrangement, il est resté super détendu, commence-t-il, les sourcils un peu haussés par la surprise. Il m'a dit, dans le plus grand des calmes que ça se soigne et qu'on va trouver une solution tous ensemble, que ce n'est pas une fatalité et qu'il existe des moyens pour me guérir.

J'enrage. Je bouillonne d'entendre de telles idées ! Je prends mon mal en patience pour ne pas l'interrompre mais ça me coûte. Mon cœur bat la chamade et je n'ose imaginer la cadence qu'a dû emprunter le sien en s'entendant proposer d'être soigné.

— Je m'attendais à des cris, aux larmes de ma mère... Franchement je l'espérais presque... Là, c'est pire...

Sa voix se brise et il se redresse, prenant entre ses mains son visage et appuyant ses coudes sur ses genoux. Il fait encore chaud en ce début de mois d'octobre, un bel été indien comme on les aime. Je tire une chaise et m'installe à ses côtés, une main lui frottant doucement le dos alors qu'il retient ses larmes. A moi, il ne peut pas le cacher.

Il ne pleure jamais, Tim'. C'est trop un battant pour ça, il a appris à se tenir droit en toutes circonstances et je suis l'une des rares personnes qui puisse savoir lorsque quelque chose l'atteint. Les années l'ont endurci. Il a changé, pour le meilleur et pour le pire, apprenant à affronter ou éviter les situations difficiles ou douloureuses. Il s'est forgé entre deux mondes : l'éducation de son père, et celle de l'extérieur. Souvent, il ne sait pas où donner de la tête, qui a raison et qui a tort. J'ai beau être à la tête de tous ceux qui croient en lui et l'aiment comme il est, notre poids n'est pas toujours suffisant face au reste. Nous sommes son contre-pouvoir, nous pesons dans la balance. Parfois, ce n'est pourtant pas assez et il ne sait pas sur quel pied danser.

— En fait, ils me soutiennent dans cette épreuve, comme si... reprend-il, me ramenant à l'instant présent. Comme si c'était un mauvais moment à passer mais qu'on allait s'en sortir ensemble, quoi. Et quand j'ai commencé à leur dire que j'avais pas du tout l'intention de faire soigner quoi que ce soit... là, ma mère s'est mise à pleurer. Elle... hoqueta-t-il, se contenant difficilement.

Attrapant sa nuque d'une main, je me penche vers lui et l'enlace, calant sa tête contre mon épaule et le laissant y déverser un peu de sa peine. Même si je sais qu'elle est là pour rester. Qu'elle risque de s'installer. Qu'on ne se débarrasse pas de ce qu'il est en train de vivre d'un haussement d'épaules, comme on ignore les passants qui vous sifflent dans la rue si vous avez le malheur de tenir la main d'une personne du même sexe que vous. Non, le rejet de ses parents, c'était une violence bien supérieure aux autres, même s'il s'y préparait depuis des années et souhaitait trouver le courage et la force de leur parler.

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