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« MIAS OUI HANNIBAL VOILÀ, LE DANEMARK ! » tu cries comme si en face de toi il n'y avait personne, avec une insouciance dangereuse. « Hannibal, oui, oui, voilà... vous avez des liens de parenté avec Mads Mikkelsen par hasard ? »

Comment oublier ce beau visage ! Mads Mikkelsen, l'acteur danois qui avait incarné le rôle du redoutable Hannibal Lecter. Mais surtout, comment oublier cette série télévisée qu'en réalité tu ne regardais que pour les acteurs – un peu trop – agréables à l'œil sous l'excuse du typique "je regarde la VO pour apprendre l'anglais". Perdue dans tes théories dignes de Ionesco, tu ignores la présence de ce pauvre type qui n'avait pour péché que d'être arrivé au mauvais endroit au mauvais moment. Le fil de tes pensées fut interrompu par la réponse sèche de l'homme en costume.

« Non. »
« Ah bon. Dommage. »

Il avait dit non ; tu avais dit dommage.
Les yeux dans les yeux, ton expression perd le peut d'enthousiasme retrouvé face à tant de froideur et indifférence. Incroyable, je lui fais un des meilleurs compliments qu'il ne pourrait jamais entendre, et il ne me remercie même pas, tu penses en serrant encore plus les yeux. Encore trois secondes et l'agacement aurait pu en sortir sous forme de larmes.

« Pour revenir au sujet, est-ce que vous auriez ce genre de livre ? »
« Non. »
« Dommage. »

Tu avais dit non ; il avait dit dommage.
L'homme au costume tourne le dos, ne perd pas le temps et entame un premier pas vers la sortie. Tu le savais. Quelque part, dans un coin pas trop poussiéreux du magasin, tu savais qu'un bouquin d'art danoise était caché. L'inventaire du magasin, tout comme le catalogue Netflix, n'avait pas de secret pour toi, mais tu avais simplement envie de fermer la boutique et rentrer dans ton petit appartement de 9m², te reposer, t'endormir, arrêter de penser.

« Attendez ! »

Revenir sur tes propres propos n'était pas chose facile, mais il fallait faire marcher ce petit business d'une façon ou l'autre. L'argent de cet homme aurait pu devenir l'argent du magasin, et l'argent du magasin, d'une façon ou l'autre, est aussi ton salaire.

« Je pense avoir quelque chose dans les archives, j'en suis sûre. Si vous avez un moment, je peux aller chercher en magasin, mais je ne vous assure rien. »

L'homme revient sur ses pas et avec grande courtois vous adresse un simple « merci beaucoup, mademoiselle ».
Trente minutes pour retrouver un livre délabré, sans jaquette, plié par l'humidité, taché par le temps et la saleté. Est-ce que ça en valait le coup ? Absolument pas. Chez Shinrinyoku Books les heures supplémentaire sons du volontariat ! Alors pourquoi autant de joie et satisfaction ? Tu brandis ton livre comme un trophée, tu sors des archives comme une véritable gagnante, fière de ton exploit. Et tu souris. Fatiguée, victime d'une interminable journée, mais souriante.

« JE L'AI ! » tu cries. « JE L'AI TROUVE MONSIEUR ! » tu cries encore. « Je le savais ! Si Monsieur Sugimoto avait mieux rangé les livres, je n'aurais pas pris autant de temps. »

Le blondinet se lève en entendant ton cri de victoire, regarde sa montre et porte la main sur la poche arrière du pantalon, prêt à prendre son portemonnaie.

« Vous avez que celui-là ? »
« Pour le moment, je crois que oui. Nous ne vendons que des livres d'occasions, donc n'hésitez pas à repasser, on ne sait jamais ce que vous pourriez trouver. »
« Merci beaucoup. »
« Ça fera 400 yens. Ah oui ! J'ai oublié de vous dire que nous n'acceptons ni les retours, ni les échanges. »

L'homme paie tout simplement sans rien contester. Quatre pièces de 100 yens, un billet de 5000, et un papier blanc avec un numéro de téléphone et un nom surligné à plusieurs reprises.

« Vous avez dit que vous vendez que des livres d'occasion, c'est bien ça ? Je repasserai sûrement. Entre-temps, si jamais vous voyez arriver des œuvres de cet auteur, n'hésitez pas à me contacter. La prochaine fois je ferais en sorte de venir pendant les horaires d'ouverture. »


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Toi : LES FILLES, ON M'A LAISSE UN POURBOIR DE 5000 YENS 💸 💸 💸
Aika : ???
Aika : depuis quand t'es serveuse ??
Toi : depuis jamais
Hanako : ... tu as enfin trouvé un sugar daddy askip ┐( ̄ヮ ̄)┌
Ine : *un sugar daddy aveugle
Toi : mais vous êtes vraiment les pires sorcières
Toi : enfin bref, bonne nuit ( ̄_ ̄)・・・
Aika : AH NON
Ine : RACONTE
Hanako : soit tu racontes, soit on arrive chez toi, je rigole pas
Toi : ...
Toi : bon, si vous insistez
Toi : vous savez le mec marié qui va tous les jours au starbucks ?
Ine : le mec qui t'a rien demandé mais auquel tu as inventé toute une vie ? oui
Toi : NON MAIS LAISSE MOI RACONTER MON HISTOIRE OU JE ME CASSE
Hanako : on t'écoute !!
Toi : il est venu acheter un bouquin alors que j'étais en train de fermer le magasin, et vu que NON SEULEMENT j'ai bossé hors mes horaires mais qu'en PLUS j'ai trouvé son livre, il m'a laissé 5000 yens ( ͡° ͜ʖ ͡°)
Aika : t'es sûre que tu ne lui as pas dit le mauvais prix exprès ?
Toi : allez, bonne nuit, vous êtes des pestes
Toi : et dire que j'avais un détail encore plus intéressant
Ine : elle va sortir son 06, j'y parie la vie de Aika
Aika : non mais j'hallucine ou ??
Toi : OUI
Toi : JE VOUS APPELLE DEMAIN ET J'EN DIS PAS PLUS
Hanako : Q U O I ???????????
Toi : O U I mais il est pas du tout mon type, en plus il est marié ew
Toi : n8, pour de vrai !!

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Deux semaines se sont écoulées.

Aucune trace de l'auteur marqué en encre noire sur le but de papier reçu par l'homme en costume. Il ne prenait plus son café noir sans sucre avec un morceau de chocolat 100%, ni de petite pâtisserie et il n'était plus repassait au magasin. Il avait tout simplement disparu en laissant derrière lui le souvenir d'une anecdote drôle et amusant à raconter aux copines. Même ce dernier est fini par devenir fade, oublié.

Il est mercredi. Tu es assise derrière la caisse en train de relire le premier paragraphe de ton mémoire de fin d'études. De temps en temps tu jettes un regard sur la radio allumée et tu écoutes distraitement les informations de la journée. La routine avait repris son cours, même avec une variable en moins.

Il est mercredi et tu es presque libre. La caisse fermée, les documents bien empilés et les livres tous rangés.

Plus que vingt minutes.

Plus que dix minutes.

Plus que cinq.

« Bonsoir. »
« Monsieur, le magasin vient tout juste d- »
« J'ai un livre dont je voudrais me débarrasser. Faites-en ce que vous voulez. »

Tel qu'il était arrivé, il avait disparu. Tous ce que tu avait remarqué était une seule chose, le nom de l'auteur : Ryomen Sukuna.

Compte à Rebours Où les histoires vivent. Découvrez maintenant