𝐎𝐏𝐈𝐀┃ᴹʸ ʰᵉʳᵒ ᵃᶜᵃᵈᵉᵐⁱᵃ

004

Shiori Tsuno et Nejire Hado n'étaient pas proches. Et pourtant, cette dernière n'hésita pas une seconde à appeler sa nouvelle camarade de classe par son prénom, lorsqu'elle la vit s'écrouler sur le banc.

Au moment même où le vendeur de la supérette déposait sa monnaie sur le comptoir, la jeune fille sentit un frisson glacial s'infiltrer dans sa colonne vertébrale, comme si son corps tentait de l'avertir qu'une menace planait sur elle. En saisissant les bouteilles d'eau qu'elle venait juste d'acheter, jeta furtivement un regard à la ronde, et même si sa taille moyenne ne lui permettait pas de voir derrière tous les rayons, elle considéra immédiatement cette zone comme sécurisée. Pas un être humain à la ronde, hormis le vendeur et elle. Et lorsqu'elle fut sur le point d'éradiquer cette pensée malvenue de son esprit, une dernière hypothèse se présenta à elle avec la vivacité méchante d'un flash.

— Shiori.

Elle crispa sa main sur les bouchons des deux bouteilles qu'elle tenait entre les doigts, et détala hors de la supérette en jetant un « au revoir » à la volée, qui fut reçu de plein fouet par un vendeur pantois.

Lorsqu'elle vit sa camarade avachie sur le ridicule petit banc public en face de la boutique, elle se sentit paradoxalement rassurée. Elle était là, et chacun des grands pas qu'elle faisait vers elle la confortait un peu plus sur son état. Mais, lorsque Shiori releva sa tête rose vers elle, Nejire hésita.

Elle posa ses deux bouteilles sur le goudron devant elle, et s'accroupit face au banc. Désormais, elle ne voyait plus sur son visage qu'une neutralité absolue, comme si rien ne s'était passé.

Nejire considéra la foule autour d'elle, les mains que sa camarade tenait pressées sur ses tempes, et ses sourcils qui se fronçaient, presque imperceptiblement.

— Tsuno, est-ce qu'on t'a touchée ? fit-elle de but en blanc.

Cela parut la prendre de court.

— Si c'était le cas on pourrait déjà retrouver des morceaux de son crâne jusqu'au campus, railla la jeune fille. C'était un coup de mou...Le manque de sucre sûrement.

Son interlocutrice soupira, puis se releva sans plus tarder, ayant du mal à supporter ne serait-ce qu'une minute de plus la vue de son visage crispé, aussi crédible qu'une actrice de série B. Elle ne la croyait pas, Shiori le savait, et il paraissait évident que la jeune fille ne comptait pas la renseigner plus sur ce qui avait pu se passer pendant sa brève absence. Elle mentait mal mais malgré ce constat, Nejire choisit de ne pas pousser l'interrogatoire.

Ramassant ses bouteilles, elle en tendit une à Shiori, qui sembla apprécier le contact rafraîchissant du plastique. Alors qu'elle buvait à grandes goulées, Nejire s'évada un bref instant dans son propre esprit. A en juger par l'horloge qui se tenait au-dessus des deux jeunes filles il était aux alentours de seize heures trente, or le rendez-vous qui occupait ses pensées depuis la veille ne se tenait que dans une demi-heure. A son grand regret, elle allait devoir filer plus vite que prévu.

Elle se sentait quelque peu mal à laise vis-à-vis de laisser Shiori aussi abruptement, mais considérait tout de même que l'objectif qu'elle sétait fixé autour de cette séance de jogging était atteint. Elle aurait pu s'abstenir de courir pour cette fois, mais un pressentiment lui avait ordonné de faire cette proposition à sa nouvelle camarade de classe. Et Nejire écoutait toujours ses pressentiments.

Du peu de temps qu'elles avaient passé ensemble, la jeune fille avait peu à peu extrait des bribes d'informations, toutes fines, quasiment insignifiantes, mais qui formaient peu à peu le personnage, comme les feuilles d'un oignon qui s'imbriquent peu à peu entre elles. Seulement, et cela assombrissait un peu le tableau plutôt positif qu'elle s'était faite d'elle, Shiori avait une propension à mentir. Ce n'était rien de grave, mais ces petites bribes d'elle qui lui échappaient par omission ou par déformation des choses la frustraient, l'éloignaient un peu plus à chaque phrase de sa vérité.