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Doucement bercée par les légères secousses du train, Shiori n'avait cette fois-ci aucune envie de sortir un livre. Filtré par la vitre, le soleil déclinant derrière les immeubles chauffait doucement son visage somnolant, baignant la rame d'une lumière rosée. Le wagon était pratiquement désert. Ce qui était, si on y réfléchissait bien, compréhensible : Les adultes rentraient plus fréquemment du travail vers dix-huit heures, et lorsque sonnaient les coups de dix-neuf heures, les voyageurs à prendre le train vers la banlieue tokyoïte étaient essentiellement composés de lycéens restés dans leur établissement pour quelques révisions, ou d'amateurs d'heures supplémentaires.

Shiori quant à elle, ne cochait aucune de ces deux cases. La raison de son retard était simple, les premiers cerisiers de la ville commençaient à peine à fleurir et elle ne voudlait pour rien au monde rater cette occasion de faire quelques photos. Elle les imaginait déjà punaisés au-dessus de son bureau, ou envoyés à ses anciens amis de Sendai en guise de signe de vie : la jeune fille se sentait assez coupable de ne pas leur envoyer de messages depuis qu'elle était partie. Ils étaient loin d'être proches, mais ne serait-ce que par politesse...

Ces pensées pour la plupart restées en suspens flottaient dans son esprit engourdi par le sommeil. Elle s'était laissée happer par la fatigue de la journée dès que le train avait dépassé les limites de la banlieue, passant par une alternance de zones résidentielles, industrielles et de friche avant de s'engager dans la ville, désormais plus dérangée par les annonces de stations et les discussions de passagers. Le seul autre voyageur dans son wagon était un bureaucrate en costume, assis non-loin d'elle, les yeux rivés sur son téléphone. Elle ne l'avait même pas vu rentrer, tant elle était concentrée sur quelque chose de tout à fait autre.

Sa première journée de cours s'était déroulée de manière plutôt atypique, par rapport à ce dont elle avait l'habitude auparavant. En premier lieu, le fait que sa tante soit professeure dans le même établissement l'avait étreinte d'une sorte dangoisse inexplicable, elle craignait sans trop se l'avouer que Junko fasse quelque chose d'embarrassant. Il était absolument impossible que quelque chose du genre arrive, mais l'anxiété de Shiori s'infiltrait dans la moindre faille de doute, sans tenir compte d'une quelconque rationalité.

En second, ses camarades de classe étaient encore plus étonnants que l'année dernière. Il est vrai que, à Shiketsu, elle avait déjà eu l'occasion de côtoyer des personnalités excentriques, elle la première était un cas pour le moins original, mais cette promotion de Yuei regroupait des élèves uniques en leur genre, à commencer par Hado, Togata et Amajiki.

Les trois amis, qui l'avaient greffée à leur bande le temps de deux pauses et un repas de midi, ne lui avaient pas une seule fois donné l'impression dêtre à part. Hormis à quelques occasions qui furent trop rares pour être dérangeantes. Elle s'était sentie intégrée, sentiment rare chez elle, et surtout, lorsqu'au fil de la journée sa langue s'était peu à peu déliée, intéressante. Passé la gêne qu'elle avait ressentie au premier abord, elle avait eu l'occasion de parler, entre autres, de sa décennale passion pour le coloriage sans se sentir ridicule, et elle avait pu en apprendre beaucoup plus sur ce qui paraissait être son nouvel entourage.

Par exemple, Togata et Amajiki se connaissaient depuis le CE2, lorsque le second avait rejoint la classe du premier. Ils avaient rencontré Hado en seconde, mais n'avaient pas eu la chance d'être dans la même classe, puisque Togata avait intégré la seconde B.

Mais par-dessus tout, la question des alters n'avait pas été abordée une seule fois. Ils n'avaient pas questionné Shiori à ce propos, et naturellement, elle avait fait de même. C'était compréhensible, ils étaient sûrement lassés d'être constamment réduits à une capacité atypique, ou à un cursus lycéen. Et la nouvelle élève éprouvait le même sentiment.

𝐎𝐏𝐈𝐀┃ᴹʸ ʰᵉʳᵒ ᵃᶜᵃᵈᵉᵐⁱᵃOù les histoires vivent. Découvrez maintenant