001┃INTRODUCTION

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Shiori regardait par la fenêtre, le menton appuyé contre la paume de sa main. Elle était allongée sur son bureau, une posture peu commune mais qui faisait un parfait poste d'observation, le meuble étant collé en dessous de sa fenêtre. De là, elle pouvait voir la rue, les passants presser le pas sous cette averse de fin mars. Sans doute la dernière avant longtemps d'ailleurs ; la jeune fille s'imprégnait une ultime fois des nuages, de la pluie avant que le beau temps quelle ne portait pas dans son coeur revienne.

Des crampes commençant à la paralyser, elle se leva et sauta de son perchoir pour atterrir les pieds les premiers dans un épais tapis, neuf, son unique acquisition depuis le récent déménagement. Elle planta ses orteils dans le confortable tissu, face à son lit, où elle venait de passer sa première nuit.

La veille, sa tante Junko et elle avaient posé les derniers cartons dans ce qui était auparavant un petit appartement encombré de meubles non montés. Elles avaient passé la journée à tout trier. Il restait encore d'énormes cartons de livres que les deux femmes avaient promis de ranger, mais tu-comprends-jai-été-occupée-de-toute-façon-jai-la-flemme-on-verra-ça-demain.

Shiori passa une main dans ses cheveux roses, dont la frange avait besoin dêtre raccourcie, selon sa tante. Elle trouvait ça débile de « rafraîchir sa coupe » la veille de la rentrée ; comme si on avait besoin d'être à son avantage auprès de ses camarades le premier jour, sachant que pendant tout le reste de l'année, on ne pourrait pas se passer d'aller à lécole si on avait les cheveux gras. De toute façon, sa frange cachait les quelques boutons qu'elle avait sur le haut du front et ce n'était pas pour lui déplaire.

La rentrée, c'était demain donc. A Yuei, seule école de la région à proposer la filière héroïque. Avant, Shiori était à Shiketsu. Elle ne se plaisait pas spécialement là-bas, et elle n'espérait pas forcément que cela s'arrange en allant dans un autre lycée. Elle se sentait rarement complètement à sa place quelque part, et le déménagement n'allait pas forcément améliorer les choses. De très négatives pensées commençaient à lui envahir le cerveau, remarqua ladolescente. Pragmatiquement, elle se dit que l'angoisse de rencontrer de nouvelles personnes prenait le pas sur sa rationalité habituelle.

Elle était seule chez elle, à l'aube de sa rentrée en seconde année de lycée. Un moment idéal pour stresser, anxieuse quelle était, Shiori avait besoin de se changer les idées. D'un pas lent, elle se dirigea vers le salon, où les derniers cartons contenaient des livres et du matériel informatique, notamment l'ordinateur commun, un modèle de bonne qualité qui les servait fidèlement depuis de nombreuses années.

Posant l'objet sur le bureau, la jeune fille commença à brancher les câbles, l'un des domaines dans lesquels elle se débrouillait le mieux étant celui de lélectronique, que ce soit interne ou externe à lordinateur. Elle se souvenait encore du jour où Junko était revenue du travail, un soir de vacances où Shiori s'ennuyait à mourir, avec les bras chargés d'un ordinateur, dune console et de deux manettes. Elles avaient entassé tout ça au milieu du salon et avaient piqué un fou rire mémorable. Sa tante avait profité dune prime sur son salaire pour faire une petite folie, quelle avait regretté deux mois plus tard, lorsque la première manette s'était cassée.

Soudain, en entendant une clé entrer dans la serrure, la jeune fille brancha précipitamment le dernier câble, désireuse de montrer son travail achevé. La porte de l'appartement, qui donnait directement sur le salon, s'ouvrit sur une femme d'âge mur aux cheveux bruns et bouclés.

« Hey ! lança Junko. Elle laissa tomber un sac de courses par terre et son sac à main sur le meuble à chaussures et commença à délacer l'attache de ses chaussures à talons.

—Salut, répondit Shiori, maladroitement appuyée au dossier du canapé. T'as vu, j'ai installé l'ordinateur.

Sa tante hocha la tête d'un air appréciateur puis pouffa en voyant l'expression excessivement fière de l'adolescente.

—Très bien ! Ce soir, c'est bouillon au fait.

Elle rangea ses talons et se dirigea vers la cuisine, trainant le sac de courses derrière elle.

—Alors, comment s'est passé le test ?

Shiori hésita un instant à répondre. En effet, le transfert Shiketsu-Yuei ne se faisait pas comme ça, en particulier pour intégrer la filière héroïque en cours de cursus. Deux éléments avaient permis d'effectuer une dérogation ; en premier, la jeune fille possédait sa Licence Provisoire. En second lieu, sa tante et tutrice avait décroché un poste à Yuei, en tant que professeure d'Ethique et Développement Personnel, ce qui facilitait grandement les choses.

Elle avait donc reçu l'autorisation de passer une « démonstration de capacités » auprès d'un professeur de cette école, cela s'était passé cette après-midi car ils n'avaient rien pu organiser plus tôt, au grand dam de Shiori.

—C'était bien, répondit celle-ci. Mais je crois que je me suis complètement ratée sur la nouvelle technique qu'on a élaboré ensemble.

La jeune fille entendit sa tutrice rire depuis la cuisine, fidèle à elle-même. Après tout, ce nétait pas vraiment son genre de la rassurer inutilement. Lorsque Shiori estimait quelle avait raté quelque chose, c'était que cétait le cas, et tant que sa tante nétait pas témoin de la scène, elle ne pouvait pas prétendre le contraire. L'adolescente la rejoint dans la cuisine, pour la trouver en train douvrir une canette de bière, une planche à découper face à elle.

—Découpe-moi les légumes, lança-t-elle à sa nièce avec un grand sourire. Et ne t'inquiète pas, j'ai croisé Mr Aizawa, le professeur qui t'a fait passer ce « test ». Il m'a dit quil ne voyait aucun inconvénient à ce que tu intègres la première héroïque.

Shiori lui rendit son sourire, heureuse. Devoir intégrer une première « classique » laurait probablement déprimée à un point inimaginable. Elle attrapa un gros couteau de cuisine et commença à découper des poireaux pendant que sa tante s'asseyait sur le coin de la table.

—Je me demande ce qui sera différent, entre Shiketsu et Yuei.

—J'y ai passé laprès-midi, et pas grand-chose, répondit Junko. Peut-être la rigueur, ils ont l'air dêtre plus laxistes.

La jeune fille aux cheveux roses versa quelques légumes hachés dans l'eau qui commençait à frémir, et les accompagna de quelques cubes de bouillon.

—Le corps enseignant est sympa en tout cas, ajouta la grande brune.

—Y a intérêt. Et je pense que tu vas ajouter ta dose de laxisme en commençant à enseigner là-bas.

Junko lâcha un petit rire aussi sarcastique que le ton de sa nièce. Elle posa sa canette à moitié pleine dans le frigo et ébouriffa affectueusement les cheveux de Shiori en sortant de la pièce.

Junko Yoshikawa était la tutrice par procuration de Shiori. Elles avaient commencé à vivre ensemble quand la jeune fille avait sept ans. Elle avait passé trois ans chez sa grand-mère, mais au bout dun certain temps, celle-ci sétait déclarée complètement inapte à s'occuper correctement de sa petite fille, au vu de son âge. C'était de cette période d'où Shiori tirait une autonomie qui lui avait bien servi chez sa tante, alors étudiante, qui malgré ses efforts, n'était pas toujours là pour s'occuper delle.

Malgré les nombreux déboires, au bout de presque dix ans de cohabitation, le duo était devenu indestructible, se connaissant mieux l'une que l'autre.

Pensivement, Shiori posa un couvercle sur la casserole de bouillon et s'assit sur une chaise pour surveiller la cuisson. Cétait son dernier repas avant d'être catapultée dans la vie d'aspirante héroïne à Yuei, et elle craignait de ne pas être capable de l'avaler tant son ventre était serré par l'angoisse. Elle soupira longuement, très longuement avant de commencer à mettre la table, les mains tremblantes.

Demain, le dernier jour de mars, elle se lèverait tôt pour prendre le train jusquà Yuei, avec maintenant la certitude que ce serait pour suivre les cours de la filière héroïque. Rien ne pouvait mal se passer, hormis le fait qu'elle serait sans doute la seule nouvelle élève à intégrer la Première A. Ou qu'un professeur sadique décide de lui demander de se présenter face à la classe, chose superficielle et inutile mais que certains enseignants se plaisaient à faire. La jeune fille passa une main dans ses cheveux, tracassée.

—Au fait, Junko, lança Shiori, tu pourras me couper la frange un peu plus court ?

𝐎𝐏𝐈𝐀┃ᴹʸ ʰᵉʳᵒ ᵃᶜᵃᵈᵉᵐⁱᵃOù les histoires vivent. Découvrez maintenant