Chapitre 2

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Je marche jusqu'à atteindre le mur de la Zone. Il s'élève, là, droit et imposant, d'un gris sombre et morose. Un groupe de jeunes de 17 ans y sont rassemblés. Je jette des regards furtifs autour de moi afin de m'assurer si aucun Gradé ne vient dans ma direction. Je me rapproche un peu plus et me place à côté d'un garçon à la peau brune. Les cheveux noirs, il est bien bâti, me dépassant d'une tête au moins. Il s'agite sur place nerveusement.
-Pff. Ils sont tellement soulants de nous faire attendre ici ! Ça fait déjà deux heures ! Aucune envie d'y aller. Ils sont tarés ces gens ! Tu penses qu'il y aura des dangers ? Si il y en a, moi, j'y vais pas! Pas question de me casser la figure dans ce genre de test.
Il s'adresse à moi comme si il me connaissait depuis dix ans. Je n'ai pas le temps de lui répondre.
-Eh ! Vous avez vu la grosse poule mouillée !
Toutes les têtes se tournent vers nous. Super. Tout le monde nous regarde maintenant. Je soupire, sentant que ça va rapidement déraper. Le garçon qui venait de crier à la ronde se retourne avec moquerie. Il est petit, les cheveux coupés à ras.
- Si t'as peur d'aller dans la Zone, retourne chez les premières années !
Le gars à la peau brune rougit.
- Et en plus il rougit comme une tomate ! T'es vraiment qu'un gros bébé ! Te mets pas à chialer sinon les méchants Gradés vont t'emmener !
Quelque uns éclatèrent de rire. Sans savoir pourquoi, je me sentais bouillonner intérieurement. Un souvenir fulgurant me revient alors. La même scène, mais trois ans auparavant. Une douleur me prend à la tête et je manque de tomber sous la douleur. Mes yeux se voilent de noir et je sens ma tête tourbillonner. Plus rien, juste un bruit sourd.

J'étais allongé dans le dortoir C. Un silence de plomb régnait, rompu par quelques toussotements de temps à autres. Je n'arrivais pas à dormir, comme toutes les nuits en ce moment. Je pensais à mon futur, si j'allais réussir le test. Qu'allais-je devenir si je le ratais ? Est-ce qu'il y avait des indices et des tactiques pour réussir ? Est-ce que ce serait simple ? Ou bien d'une telle difficulté que personne ni arriverait ? Toutes ces questions formaient un vide dans ma tête, j'étais assoiffé de connaître la suite, et de réussir. On ne nous avait que très vaguement parlé du fameux test pendant les cours et cela était, je trouvais, bien insuffisant. Je me rappelais aussi mon entrée dans la zone C. Un homme habillé d'une combinaison noire nous guidait vers une porte blindée. Elle était totalement différente des autres portes. Elle était scellée dans un mur de briques froid et fermée par plusieurs loquets et serrures. L'homme la déverrouilla d'une main habile avant de l'ouvrir et de nous laisser passer. Tous les garçons -car ce bâtiment est uniquement réservé à la gente masculine, les filles se trouvaient dans un autre bâtiment- se précipitaient et se bousculaient pour apercevoir le nouveau dortoir. Je suivais la cohue sans prêter attention à ce que je faisais. J'étais trop occupé à essayer de déceler un changement dans le décor. Quelle idée ! Tous nos dortoirs sont identiques, du A au C. L'homme nous amena au milieu des lits et nous fit asseoir. Il nous appelait par ordre alphabétique et nous devions poser nos affaires personnelles ainsi que celles pour les cours dans le coffre situé à côté de notre couche. Je me souviens de la voix grave de celui qui nous encadrait. Il criait presque : « Aidan Palmer, rangée 4 lit H ». Je pris mes affaires et allai les déposer dans la commode.Tant de choses qui m'excitaient et m'effrayaient à la fois. J'ignorai alors la ténacité des épreuves que j'allais devoir passer quelques années plus tard. Je fus arraché à mes pensées par quelqu'un qui me plaqua subitement une main sur ma bouche, étouffant le cri qui allait s'échapper. Je me redressai et regardai mon agresseur. Je distinguais mal ses traits mais je pouvais les deviner. Une mine vive et toujours un sourire en coin, surmontés de cheveux châtains ondulés en masse sur sa tête plutôt carrée :
-Caleb !
Mon ami mit un doigt sur ses lèvres et desserra son étreinte. Puis s'assit sur mon matelas et passa une main dans ses cheveux.
-Putain ! Tais-toi ! Tu vas réveiller le surveillant. Et je peux te dire qu'on risque gros si tu le réveilles !
-Qu'est-ce que tu fais là ? dis-je en chuchotant.
-J'ai un pari à te proposer. fit-il avec un air malicieux.
Je l'écoutai, crispant mes mains sur mes genoux. Avec Caleb, il fallait s'attendre à tout. Je le regardai attentivement, redoutant ce qu'il allait dire.
-On sort dehors.
Je le regardai, le souffle coupé.
-Sortir dans la rue ? T'es malade ou quoi ? Et le couvre-feu ? Le règlement ?Mon ami haussa les épaules. Il n'était pas du genre à respecter les règles.
-Le règlement je m'en fous. Donc la question ne se pose pas. Idem pour le couvre-feu.
-Pour moi, la question se pose justement. Il fronça les sourcils, puis rétorqua :-T'es une poule mouillée ?
-Non. C'est juste ...
-T'es une poule mouillée ! Aidan Palmer, 14 ans, est une poule mouillée !Il commença à se tordre de rire. Je le repoussai. On courrait un risque. Ils pouvaient regarder notre dossier et ne pas nous accepter au test, on serait alors perdus. Mais je savais qu'il ne me laisserai pas le choix. Quand Caleb est décidé, il ne faut pas essayer de le ramener à la raison.
-Bon. OK. OK ! Il continua à rire puis s'arrêta brusquement.
-Enfile un pull, il fait froid. On se retrouve dans le hall.
Sur-ce, il se leva et partit en courant tout en prenant la précaution de ne pas réveiller les autres garçons du dortoir. Je récupérai un sweat dans ma commode et le suivit rapidement. Nous traversâmes le long couloir menant à toutes les pièces du bâtiment C et atteignîmes le hall. Il était très grand et strié de pylônes. Nous gagnâmes la porte principale. Nous échangeâmes un regard avant d'escalader la fenêtre restée ouverte à côté de la porte. L'air frais me fouetta le visage tandis que nous sautions au sol. La liberté ! L'excitation me gagna. -Bon. On va où ? demandais-je en essuyant sur mon jogging mes mains salies par ma chute.-Vers les blocs. Je rêve depuis des années d'explorer cette partie de la ville. Nous commençâmes donc à courir dans les rues vides. Les murs gris étaient couverts de tags et partout des déchets traînaient au sol. Je levais la tête vers le ciel éclairé d'étoiles. Excité je bondis et accélérai en sautant par-dessus les trottoirs. Caleb me rejoignit et nous poussâmes des cris, oubliant de nous taire. Soudainement, mon ami me tira vers une ruelle plongée dans le noir. Les secondes s'écoulèrent avant de nous laisser apercevoir une ombre de Gradé marchant dans la rue.
-Merde, merde ! fit Caleb en me relâchant brusquement. Ils nous ont repéré !
-Ils savent qu'on s'est échappé ?
-Le surveillant a dû se réveiller et s'apercevoir de notre absence. Putain, il faut qu'on rentre parce que si on se fait chopper ...
Nous regardâmes l'homme passer et repasser dans les ruelles sombres avec une goutte de sueur sur le front. Nous étions tendus, le regard et l'écoute en alerte. Nous n'entendions que nos respirations qui s'accéléraient lorsque l'homme repassait. Les minutes passèrent, durant lesquelles nous ne faisions rien, sinon passer de temps en temps un coup d'œil dans la rue. Au loin on entendait des cris. Puis, le silence revint, pesant. Caleb me tira par la manche.
-Viens ! La voie est libre. me dit-il en chuchotant.
Dans sa voix je ne percevais nulle peur, juste un stress intense. Je le suivais, regardant de tous les côtés. Soudain, le Gradé que nous pensions avoir semé nous fit face. Nous nous mîmes à courir comme des dératés, slalomant entre les blocs gris. Nous sautâmes par-dessus les grilles, et escaladèrent les murs. Je soufflais, refusant à m'arrêter malgré la chaleur qui me montait au visage. Au tournant d'un bloc, nous vîmes trois Gradés armés qui ne nous ayant pas vu, faisaient leur ronde de nuit. 
-On se sépare ! me cria Caleb en partant à droite.
Je sautai sur le toit d'un bloc, échappant aux gardes qui s'apprêtaient à tirer. Je ne m'arrêtai pas de courir, sautant, roulant. Enfin, après une course effrainée, j'atteignis les bâtiments de la pension. En quelques instants, j'entrai à l'intérieur et me glissai dans le dortoir. Personne n'avait bougé.
Le lendemain matin, ce fut avec anxiété que je me dirigeai vers le réfectoire. Et si le surveillant s'était aperçu que c'était moi qui m'étais enfui avec Caleb ? Dans ce cas je risquai gros. Le règlement interdit la sortie de l'établissement sans l'accord du directeur, ce n'était encore jamais arrivé. Caleb a-t-il été pris ? Je ne me souvenais pas de l'avoir entendu revenir dans le dortoir. Mais j'étais tellement fatigué aussi ... Pour ce qui est des Gradés, j'espérai que l'obscurité de la nuit avait rendu mon visage invisible. Lorsque je passais devant l'entrée principale, je vis un petit attroupement. Jouant des coudes je m'approchai afin de voir ce qu'ils voulaient voir. Et là, je fus sous le choc. Caleb se trouvait au centre de la pièce, en chair et en os, mais dans quel état ! Sa lèvre saignait et ses mains étaient attachées dans son dos. Et surtout, il commençait à tomber au sol sous les coups des Gradés. Je restai tétanisé, les yeux fixés sur mon ami qui se faisait battre. Pourquoi ne faisais-je rien ? Pourquoi ne m'avançais-je pas afin de stopper ses douleurs en me dénonçant ? Pourquoi ?! Lâche, lâche, lâche ... Je me mordis la lèvre de toutes mes forces en sentant le regard de Caleb se poser sur moi, me suppliant. Soudain, la porte s'ouvrit et le directeur entra et se plaça devant Caleb.
-Caleb Ferris, vous êtes condamné, pour vous être enfuit de la pension avant vos 17 ans, à être envoyé chez les Exilés jusqu'à la fin de vos jours, avec votre tête mise à prix si vous revenez dans la ville. Vous partirez ce soir, avec l'interdiction de dire au revoir à vos camarades.
Les jambes de Caleb tremblèrent et il s'effondra, évanouit. Alors, sans réfléchir, je me jetais sur lui en essayant de le ranimer.
-Caleb !
Les Gradés me tirèrent en arrière et m'emmenèrent dans une pièce que je ne connaissais pas tandis que je continuais de hurler le nom de mon ami.
-La procédure habituelle. firent les Gradés à l'adresse des personnes présentes.
Je regardai autour de moi. Des tubes, des écrans ainsi que des câbles reliés à un fauteuil, des scientifiques masqués .... Je m'en fichai éperdument de ce qu'on allait me faire, ce qui comptait c'était Caleb qui souffrait par ma faute. Le remord me sauta à la gorge. On me fit assoir sur le fauteuil tout en me mettant une sorte de casque sur ma tête. Que voulaient-ils dire par "procédure habituelle" ?
-Allons-y. fit un homme en appuyant quelques touches sur l'écran.
Soudain, je sentis une douce euphorie se glisser dans mon esprit, emmêlant mes pensées. Ma tête bascula vers l'avant. Les bruits se firent plus assourdissants et je sombrai alors dans un profond sommeil.

Disparate - TOME 1 - la fuiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant