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Il fait encore partiellement nuit, bien que le soleil commence à inonder le ras du sol de ses rayons orangés lorsque je décide de reprendre ma route. Des rubans de brume flottent au ras du sol, serpentant entre les tiges de blé. Encore une nuit passée couché sur le sol, encore une nuit où je n'ai presque pas fermé l'œil. Transi de froid dans mon treillis militaire et mon cargo, je vérifie que j'ai bien toutes mes affaires. Ce qui est pratique avec ma veste c'est qu'elle a plein de poches. Elles sont toutes remplies de nourriture. C'est presque mon bien le plus précieux, alors le plus sûr est de la garder sur moi. Je vérifie ensuite le contenu de mon sac. Tout est en ordre : je trouve mes allumettes, ma bouteille d'eau ( ça aussi c'est très précieux, mais la gourde d'un litre et demi n'est pas pratique à trimballer dans mes poches ), des bandes de gaze faites à partir d'un vieux T-shirt, du désinfectant qui n'est autre que de l'alcool modifié, une carte que j'ai volé à Arzaylea lorsqu'on a campé ensemble, une 2e paire de chaussettes que je mets la nuit, des lacets pas très utiles mais qui peuvent toujours servir et surtout qui ne prennent quasiment pas de place, mon pistolet semi-automatique - une pure merveille - et des médocs à n'utiliser qu'en cas d'extrême urgence. J'avais une tente il y a deux semaines mais les décérébrés l'ont déchiquetée.
Je me lève enfin, courbaturé mais alerte. Les environs sont calmes, je n'entends pas un bruit et ma visibilité est à son maximum. Je ne suis entouré que de champs abandonnés et de quelques rares arbres dénués de feuilles. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, c'est un bon spot pour passer la nuit. Je peux voir à trois cent soixante degrés autour de moi et si quelque chose m'arrive dessus, je l'apercevrais de loin et aurai tout le temps de m'organiser. C'est vraiment un endroit idéal, quand bien même le froid me transperce les os. Les villes sont plus chaudes que la campagne, mais aussi plus dangereuses. Je ne m'y rend quasiment jamais, uniquement lorsque c'est vraiment nécessaire. Malgré tout, je sais que je ne peux pas rester là. J'ai déjà passé toute la nuit couché dans les blés, je dois commencer à sentir fort. Et la dernière chose dont j'ai envie c'est qu'un de ces débiles de zombies me flaire.

Ça commence à faire longtemps que je n'ai pas croisé mon reflet dans un miroir. Je me suis parfois aperçu rapidement dans une vitre, mais je n'ai jamais le temps de m'arrêter pour m'admirer. Je me rappelle vaguement de ce à quoi je ressemblais. Cheveux blonds cendrés coupés courts, yeux bleus et froids, toujours rasé et apprêté. Cette allure soignée n'est plus qu'un souvenir à présent. La dernière fois que j'ai coupé mes cheveux remonte à lorsque je faisais équipe avec Don et Mary - comme je regrette ce temps - et depuis mes mèches sales s'échappent de mon bonnet et couvrent mes yeux. Je portais des lunettes, également. Je n'ai plus vu le moindre verre de correction depuis que les miens sont tombés et se sont brisés par terre lors du rush de Edmonton, lorsque tout le monde a essayé de quitter la ville en même temps. Je ne peux pas dire que j'ai une excellente vue, mais j'y vois assez bien pour ne pas me cogner aux arbres ou aux zombies.
Je marche à travers les champs en friche depuis presque trois heures et je sens que je commence à avoir faim. Le soleil est totalement levé à présent et a commencé à réchauffer agréablement l'air, même si un peu de vapeur se forme toujours devant ma bouche à chacune de mes respirations. Des nuages noirs assombrissent néanmoins le ciel vers le nord. Sous mes pas le sol est meuble et humide. Il n'a pas plu cette nuit, et c'est heureux puisque je n'ai plus de tente. Je suis tombé sur une bande de zombies il y a deux semaines. J'ai juste eu le temps de prendre mon sac et de courir au loin. Ma tente y est passée. Ils ne m'ont même pas poursuivi, par contre ils ont mis en pièces le carré de toile cirée qui me servait d'abris. Ils en ont même mangé des bouts ces débiles. Je suis revenu voir cinq où six jours plus tard, il n'en restait presque plus rien. Je sors une barre de céréale protéinée et commence à la manger.
C'est plutôt rare et pas très dangereux de tomber sur un zombie solitaire en pleine campagne. Ils se concentrent dans les villes et la plupart ne parcourent pas plus de quelques kilomètres par jour. Parfois il te suffit juste de marcher un peu vite et tu les sèmes. Si il est un peu moins mou que les autres, il peut peut-être t'atteindre. Dans ce cas, un coup de couteau t'en débarrasse rapidement, si tu sais où planter. Et si tu ne sais pas, je te promets qu'on apprend vite.
Mais toute une bande comme ceux que j'ai croisé, c'est une autre paire de manches. Ils devaient probablement chasser un groupe d'humains, et c'est ça qui a dû les mener hors de la ville. Ils étaient six, ce qui est énorme. Les zombies sont trop bêtes pour avoir des stratégies ou des plans. La seule manœuvre qu'ils connaissent est te foncer dessus pour te bouffer le cerveau. C'est donc ce qu'ils ont fait. Heureusement ils ne vont pas très vite, mais comme quand ils frappent, ils font mal, j'ai préféré me tirer. Les zombies ne sont pas des rapides, mais ils ont énormément de force, et se sortir de la poigne de l'un d'entre eux est extrêmement difficile. Ce n'est pas de la lâcheté de vouloir survivre dans ce monde de merde, je dirai plus que c'est du courage. Ça et que se faire dévorer par des zombies n'a rien d'un sort enviable.

Il est midi et j'ai dû enlever mon bonnet et mon treillis. Je ne suis plus qu'en pull, dont j'ai roulé les manches. La marche et le soleil m'ont réchauffé. Je décide de faire une pause et vais m'asseoir contre un poteau téléphonique où pendent des câbles depuis longtemps dépourvus d'électricité. Je consulte ma carte.
Les cartes sont très prisées, surtout par les nomades comme moi. Celle que j'ai est une vieille carte routière, autant te dire le Graal. Ce genre de merveille ne se dégote pas facilement, mais tout ce que j'ai eu à faire pour l'avoir c'est attendre qu'Arzaylea s'endorme et lui piquer ses affaires. Actuellement, je préférerai plutôt tomber sur une horde de zombies que sur Arzaylea. Le vol est difficilement pardonné dans le cadre de la survie, si tu vois ce que je veux dire... Mais ma compagne d'une nuit est au sud et moi j'avance vers le nord. Si elle est encore en vie, j'ai peu de chances de la croiser.
Je ne suis pas très loin du Dakota du Nord, et donc de Minneapolis. Si en général j'essaie de rester le plus loin possible des agglomérations, Minneapolis est mon but final. On dit qu'un mur a été construit entre l'est et l'ouest de la ville, et que la moitié de la ville est sûre. Que des survivants se sont installés là-bas et qu'ils vivent très bien, essuyant peu de pertes. C'est Arzaylea qui m'a raconté tout ça. Si je n'avais pas entendu parler d'une telle chose auparavant je ne l'aurai pas crue. Mais il se trouve que c'est une destination plutôt prisée par les humains, alors évidement tous les nomades que je croise en sont au courant. Ce qui veut dire qu'on est pas mal à se diriger vers Minneapolis. Je ne suis pas certain qu'il y ait de la place pour tout le monde là-haut. Alors je me dépêche pour éviter de me retrouver littéralement au pied du mur.
J'étais toujours en train de regarder ma carte lorsque je l'ai entendu. Et je peux te dire que si tu l'entends, c'est pas bon. Je lève les yeux et vois à quatre ou cinq mètres de moi une zombie. Je comprends immédiatement qu'elle a eu le malheur de se faire mordre par un zombie et qu'elle n'a pas simplement contracté la bactérie responsable de la zombification car elle a une manche déchirée et son bras droit est recouvert de sang séché. Ça doit faire un moment qu'elle n'a pas mangé, puisqu'elle avance à deux à l'heure. Et je n'ai pas l'intention de devenir son prochain repas.
Il y a quelques règles simples avec les zombies : il ne faut pas les regarder, il ne faut pas les approcher, il ne faut pas les toucher, il ne faut pas les laisser te mordre, et encore moins manger ton cerveau. Arzaylea avait fait cette comparaison un peu trash mais véridique : « Ils sont comme des clodos qui mendient dans la rue. Si tu croises leur regard, c'est mort. ».
Je me lève précipitamment et range ma précieuse carte dans la première poche à disposition et dégaine le couteau de chasse accroché à ma ceinture par un de ces fameux lacets à l'utilité peu appréciée. Dans la mesure du possible, j'aimerai qu'elle ne me touche pas. On ne sait pas grand chose sur la bactérie qui zombifie les humains, et on ignore notamment comment elle se diffuse. Pas besoin d'être un génie pour savoir que c'est en partie par la salive puisque lorsque tu te fais mordre par un zombie tu en deviens un toi-même ( ce cas de figure reste rare puisqu'en général les zombies préfèrent te manger que juste te mordre - imagine juste avoir le droit de croquer dans ton gâteau préféré et devoir laisser le reste : c'est comme ça que nous voient les zombies ). Par exemple, le toucher d'un zombie peut-il te zombifier ? D'après Arzaylea non, puisqu'elle prétend que ça lui est arrivé un paquet de fois. Mais je préfère ne pas prendre de risques, et en plus, leur peau froide de cadavre me dégoûte au plus haut point.
La zombie s'avance à son allure d'escargot. Je ne lui laisse pas le temps de faire un mètre de plus et la poignarde. Cinq coups propres et nets. Un dans chaque cuisse, avant qu'elle ne s'effondre je lui en assène un dans l'estomac, un au dessus du sternum et le dernier lui sectionne la carotide. C'en est fini de la pauvre infectée. Elle s'écroule mollement au sol dans un dernier borborygme. Détournant les yeux, je me penche sur elle pour essuyer ma lame sur son manteau. C'est à ce moment-là, le moment où ma garde est au plus bas, qu'elle décide de m'attraper le poignet. Je lâche ma poigne sur le manche du couteau. Instinctivement, je lui envoie un coup de botte au visage. Trop tard. Ses ongles se sont profondément enfoncés dans la peau de mon avant-bras et griffent le dessus de ma main, avant de finalement lâcher prise. Je retire mon bras aussi vite que je le peux et lui envoie un second coud de pied. Elle cesse de bouger. Tremblant, je récupère mon couteau et m'éloigne en titubant. La griffure m'élance terriblement. Je n'ose pas regarder. Je n'ose pas constater les dégâts probablement irréversibles que m'a infligé cette infectée. La douleur m'élance jusque dans l'épaule. J'ai l'impression d'avoir brûlé ma main à l'acide. Je tente de bouger les doigts, le regard toujours rivé droit devant moi tandis que j'avance vers nulle part. Mon avant-bras ne répond plus. Horrifié je continue de me diriger vers une route solitaire de ma démarche incertaine. La douleur ternit mon champ de vision et je tombe à genoux dans l'herbe. Mon dernier réflexe avant de m'évanouir complètement est de serrer mon sac à dos contre ma poitrine.

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