Toute la nuit, tandis que le sommeil continue de me fuir, je pense à l'avenir. Et je m'autorise à l'imaginer. Dehors, je n'aurai plus rien à craindre des zombies. Je pourrai vivre ma vie comme je l'entends. Seul, mais libre. Et surtout loin de toutes les personnes à qui j'ai fait du mal. Je ne peux cependant pas partir sans avoir dit adieu aux deux personnes qui comptent le plus pour moi ici. Angel et Arzaylea.
Dans la tente des scientifiques, Brittany bâcle ses examens habituel. Alors qu'elle prend ma tension en faisant gonfler plus que de raison le tensiomètre, j'en profite pour lui faire ma requête :
- J'aimerai voir mon frère et Arzaylea avant de partir.
Elle lève les yeux sur moi.
- On a pas le temps, ça serait trop dangereux et...
- C'est non-négociable.
Elle soupire.
- Juste quelques minutes.
Elle semble peser le pour et le contre puis lâche un « c'est d'accord » réticent. Je regarde autour de moi tandis qu'elle note ses dernières observations. Elle se débarrassera sans doute de ses notes plus tard. Qu'aura été Minneapolis pour moi ? Un paradis perdu auquel mon âme damnée n'aurai jamais pu avoir accès. Une oasis d'humanité qui me sera pour toujours interdite. Les réponses à des questions informulées, la boucle bouclée, la fin du cycle. C'est la dernière fois que je vois ces paravents blancs, ces paillasses encombrées et ces lavabos d'appoint. Sans raison, mon cœur se serre.
- J'ai terminé.
Je descends de la table et suis le sergent au dehors. Elle regarde autour de nous pour s'assurer que personne n'est en vue.
- Cinq minutes avec Angel, cinq minutes avec Arzaylea, siffle-t-elle. On a pas le temps pour plus.
Je ne réponds pas et suis ses pas vers les quartiers de mon frère. Il loge apparemment dans une grande tente isolée des autres. J'hésite un peu avant d'entrer, puis je me rappelle que je n'ai pas le temps. Je montre le laisser passer que m'a donné le sergent McDean aux gardes qui surveillent l'entrée, soit pour empêcher les gens d'entrer, soit pour empêcher Angel de sortir. Je pénètre dans la tente et aperçois mon petit frère allongé sur le lit en fer, simulant une convalescence. Il me suit du regard lorsque j'avance vers lui. Je tire une chaise et m'assieds à côté de lui.
- Brittany m'a dit, lance-t-il directement.
Qu'elle ne lui avait pas injecté mon sang ? Que je partais ? Je suppose qu'elle lui a dit toutes ces choses.
- Je suis désolé. Tout ça est de ma faute.
- Je n'ai rien, répond-t-il en haussant les épaules.
Un ange passe et le silence s'étire. Je n'ai plus que quelques minutes devant moi. Ce n'est pas le moment de se regarder dans le blanc des yeux.
- Je sais que tu me détestes. Mais je devais te dire au revoir. Tu ne me reverras plus jamais.
- C'est une promesse ? demande-t-il en levant vers moi ses prunelles si semblables au miennes.
- Oui, je réponds la gorge serrée. C'est une promesse.
Et c'en est une que je ne compte pas briser. L'expression d'Angel fait saigner mon cœur mort. Il n'a l'air ni triste ni heureux. Juste conscient que c'est la fatalité. Un cruel destin nous a ramené ensemble pour mieux nous déchirer, et nous séparer une nouvelle fois. Notre tragique fraternité semble couler comme les larmes que je verse à nouveau. J'étais le grand frère, mais j'ai toujours été celui qui pleurait. J'ai honte de moi et surtout de la conscience que j'ai que je referrais exactement les mêmes erreurs si on me laissait une chance de recommencer. Comme à l'hôpital du camp, Angel prend ma main. Les rôles sont comme inversés. Il serre mon poignet, ses yeux sont plantés dans les miens.
- Adieu Rick.
Je souris à travers mes larmes.
- Adieu Angel.Dehors, le sergent m'attend. Son expression tendue s'atténue légèrement lorsqu'elle me voit revenir. Elle ne fait pas de commentaire sur mon état et se contente de me mener à la prison dans laquelle ils gardent Arzaylea. Elle me laisse devant la porte en pressant légèrement mon épaule.
- Cinq minutes, me rappelle-t-elle.
Je hoche la tête et rentre dans le petit cabanon.
Je n'avais pas revu Arzaylea depuis sa fracassante révélation sur son amour pour moi. Je me suis demandé ce qu'elle avait été pour moi. J'ai eu le temps d'y penser, mais je n'ai jamais trouvé de réponse adéquate. Une compagne, une amie, indéniablement une part de mon cœur. Lorsque je rentre, elle lève les yeux vers moi. Un éclat de haine passe dans son regard, mais j'y vois autre chose, quelque chose qu'elle enfouit au fond d'elle-même, qu'elle ne peut pas regarder en face.
- Je croyais que t'avais compris que je ne voulais pas te voir, siffle-t-elle.
- J'ai bien compris... En fait je suis juste venu te dire au revoir. Enfin, adieu.
Ses sourcils se froncent et l'incompréhension se peint sur son visage.
- Comment ça ?
Je lui explique rapidement ce qui s'est passé la veille, et conclu en disant qu'il est mieux pour tout le monde que je m'en aille. Elle ne dit rien et se contente de me fixer de ses grands yeux bleus.
- Je suis aussi venu pour... faire la paix avec toi. Si tu veux bien.
J'ignore pourquoi mais sa présence me rend hésitant. Je détourne la tête, presque prêt à me faire crier dessus une nouvelle fois.
- Je suppose que je peux t'accorder ça, finit-elle par dire.
- Alors... je suis pardonné ? Je peux te prendre dans mes bras sans avoir peur de me faire planter dans le dos ?
Arzaylea sourit et hoche la tête. Nous nous étreignons et elle me serre fort contre elle. Je repense à ce qu'elle m'a dit la dernière fois que nous nous sommes vus et la pression de ses mains prend tout son sens. « J'étais tombée amoureuse de toi »
- Je suis désolé, je murmure le visage enfouit dans ses cheveux blonds.
Je n'ai jamais été très doué pour voir ce qui était pile sous mon nez, même lorsque je portais mes lunettes. L'amour d'Arzaylea, l'amour d'Angel, je ne peux les accepter. Et je comprends, soudain, je comprends tout, dans les bras de la femme que finalement, j'aime en retour. Et ce qui me fait le plus mal, ce n'est pas que je vais devoir partir pour toujours, c'est que je ne vois que maintenant ce qui m'a manqué toute ma vie.
Brittany ouvre la porte et me demande de la suivre. Je lâche Arzaylea qui pleure. Je tourne les talons définitivement, et ça me déchire le cœur . C'est finit maintenant.
Le sergent me mène au même endroit que la veille. Je déchire le grillage en métal comme si il s'était agi de papier. Brittany se tourne une dernière fois vers moi et me serre la main.
- Ç'aura été un plaisir d'étudier votre métabolisme, déclare-t-elle avec un sourire triste.
- Le plaisir est partagé sergent.
- Prenez soin de vous.
- Prenez soin d'Angel. Et essayez de rendre sa liberté à Arzaylea.
- Je ferai mon possible, promet-elle.
Je jette un dernier coup d'œil derrière moi et embrasse la base militaire du regard. Étragement, j'ai le sentiment que cet endroit va me manquer. Je passe par l'ouverture dans le grillage et débouche à l'orée d'une forêt. Le sergent McDean a déjà tourné les talons. Je parcours quelques mètres avant de me souvenir de quelque chose. Le petit flacon de sang semble peser des tonnes dans ma poche. Je le sors et l'examine à la lumière du soleil. Puis je décide que ça ne sert à rien de garder ça sur moi. Je le jette contre un arbre et il explose, répandant des bris de verre partout sur le sol. La tâche de sang sur l'arbre est pareille à l'impact d'une balle. Un mauvais pressentiment s'insinue en moi.
Je marche pendant plusieurs minutes lorsque j'entends des cris et des pas. Je me retourne et sens avant de les voir les militaires du camp. Ils m'ont retrouvé. Les soldats que je connais déboulent alors dans la clairière où je me trouve, Aaron, Martin et Ryan. Aaron pointe son arme vers moi, exactement comme quand je suis arrivé ici et soudain je sais où je suis. Au purgatoire. Toutes mes erreurs, tous mes regrets, tous mes pêchés me reviennent en pleine face. J'avais des comptes à régler avec mon frère, avec Arzaylea, avec moi-même. J'ai abandonné, j'ai volé, j'ai blessé. J'étais un monstre bien avant de me faire contaminer par la zombie. Je n'ai pas passé les portes du paradis mais celles de l'enfer. Je vais mourir et je disparaîtrai à tout jamais. Le coup part, et je sens la balle rentrer dans mon crâne. L'obscurité tombe. Le silence se fait.- FIN -
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Zombie
Science-Fiction''Je reprends connaissance le visage écrasé contre la terre mouillée, sentant confusément l'humidité de l'averse au dessus de moi. Je reste longtemps allongé comme ça, la pluie battant mes joues et mes mèches mouillées collant à mon crâne. La bosse...