Je reprends connaissance le visage écrasé contre la terre mouillée, sentant confusément l'humidité de l'averse au dessus de moi. Je reste longtemps allongé comme ça, la pluie battant mes joues et mes mèches mouillées collant à mon crâne. La bosse sous mon ventre est mon sac, et savoir qu'il est là me rassure assez pour que je consente à ouvrir les yeux. Les herbes malmenées par la pluie dansent devant mon visage. Il fait nuit. Je tente de mobiliser assez de force pour m'asseoir. Et c'est là que la douleur me foudroie à nouveau, comme un coup de couteau, comme du sel sur une plaie à vif. Je retombe telle une poupée de chiffon en gémissant. Je retiens à grand peine les larmes de douleur qui se forment au coin de mes yeux. Je fais une nouvelle tentative en m'appuyant cette fois sur mon bras valide. Je réussi à me redresser en position assise. La pluie tambourine sur ma tête et mes habits sont trempés. Si je ne meurs pas de cette griffure, c'est la crève qui m'achèvera. Malgré tout, je me sens moins nauséeux et bouleversé qu'avant mon malaise. Bien sûr, le fait que j'ai perdu connaissance plus de huit heures m'inquiète un peu, mais la pluie semble calmer mon angoisse. Je me force à prendre une barre de céréale détrempée dans ma poche fourre-tout et la mange même si je n'ai pas du tout faim. Je me contrains également à boire quelques gorgées d'eau. Un frisson me parcourt lorsque je me résous enfin à regarder ma blessure. La douleur poignante que je ressentais après l'attaque n'est plus qu'un élancement désagréable. Je soulève la manche de mon pull qui était tombée. La zombie a laissé quatre longs sillons sanguinolents sur mon poignet et le dessus de ma main en souvenir. Je m'en veux terriblement de ne pas avoir tenté de me soigner plus tôt. Avoir attendu ne peut être qu'une mauvaise chose. Le sang a un peu séché et laissé des croûtes noires que je ne distingue pas bien dans l'obscurité. Avec ma main droite, j'attrape les rouleaux de bandages que je trimballe dans mon sac. Je désinfecte la blessure à l'alcool modifié. Le liquide jaunâtre coule sur ma blessure et m'arrache un cri. Mes larmes se mêlent à la pluie qui roule sur mes joues. À travers mes cils, je me débrouille pour enrouler la gaze autour des plaies. Lorsque que le bandage est terminé, je me laisse aller en arrière, ma tête tombant dans la boue, les yeux grands ouverts sur le ciel dépourvu d'étoiles. Haletant et gémissant, je m'évanouis à nouveau.
Je passe trois autres jours allongé dans ce champs isolé, à quelques centaines de mètres de la route. Je ne sais pas comment, mais aucun zombie ne se pointe, malgré le fait que je macère dans ma propre odeur depuis des jours. Je n'ai plus aucun médicament, tous mes antibiotiques ont remonté mon tube digestif en même temps que mes barres de céréales. Mes journées sont rythmées par mes évanouissements fréquents et mes vomissements à chaque fois que je mange quelque chose. Au fil des jours, je me suis débarrassé de tous mes vêtements un à un. Il ne me reste plus que mes sous-vêtements, et même la nuit, lorsque la température descend en dessous de zéro, la fièvre me fait transpirer. Je sais que je vais mourir, ou bien de froid, ou bien de faim, ou bien de cette maudite plaie. Elle me fait parfois tellement mal que je hurle dans l'immensité du ciel au dessus de moi. Les nuages passent, et je sais que moi je vais y passer. Je ferme les yeux. Si je pouvais cesser de souffrir...
Je vois ma mère derrière un ciel dépourvu de nuages. Les heures passent et les ombres s'allongent. Je la vois à chaque fois que je ferme les yeux. Je n'arrive pas à me souvenir de son sourire, de son rire, de son regard. Tout ce que je vois c'est le zombie qui lui dévore le cerveau alors que je viens de rentrer à la maison. Tout ce que je vois c'est le zombie qui tombe sous mes coups. La nouvelle de l'infection s'est répandue rapidement en ville et tout le monde a essayé de partir. Tout ceux qui pouvaient en tout cas. J'ai perdu mon petit frère dans la foule. Je ne l'ai jamais revu. Je me suis allié à Don et Mary, tous les deux plus âgé que moi et qui m'ont aidé à survivre. Je crois que c'est moi qui crie. J'ai tellement mal...
- Oh mon Dieu. Oh mon Dieu.
J'entends confusément du bruit. Je suis trop entouré par la brume de mon esprit pour m'en inquiéter. Qu'ils me tuent. Qu'ils me tuent les zombies, c'est de leur faute si je suis dans cet état.
- Mais... c'est toi ? Rick ?
Mes pensées s'éclaircissent. Les zombies ne parlent pas. Les zombies ne connaissent pas mon prénom. J'ouvre les yeux et la lumière m'éclate les rétines. Au dessus de moi est penchée la silhouette qui signifie que je suis véritablement en enfer.
- Ar... Arzaylea.
Ma voix n'est qu'un grognement rauque. J'ai le réflexe de serrer mon sac un peu plus fort contre moi. Je n'ai pas de force, merde. Arzaylea s'écarte légèrement de moi.
- T'es dans un sale état.
- Je vais crever.
- Ça, ça m'a l'air sûr et certain.
Je respire à grand peine. J'ai faim. J'ai tellement faim. Mais je n'ai plus rien à manger.
- Tu permets que je te prenne tes affaires ? Quoi que toi tu ne m'a pas demandé la permission avant de me voler.
Si il est réellement temps que je meure, autant demander pardon maintenant.
- Je suis... désolé.
Ma voix tremble. Mon corps aussi. Je n'ai pas froid. Je n'ai pas chaud. Je suis juste parcouru de spasmes nerveux.
- Ouais, ça tu peux l'être ! Tu... qu'est-ce que c'est que ça ?
Arzaylea se penche sur moi en fronçant les sourcils. Elle à l'air d'une géante de mon point de vue. Elle attrape ma main blessée et je retiens un grognement de douleur.
- T'es gelé... mais... tes ongles !
Elle lâche aussitôt mon bras, comme si elle avait peur d'être contaminée par quelque chose. Je regarde ma main à mon tour. Mes ongles ont viré au violet. Ma peau est pâle comme la lune. Je vois chacune de mes veines, qui disparaissent sous mon bandage.
- Tu t'es fait mordre ! s'exclame Arzaylea, paniquée.
- Non, je réussi à contredire. Elle m'a... elle m'a juste griffé.
Arzaylea reste là où elle est, n'osant pas s'approcher plus. Elle devrait pourtant voir à quel point je suis mal en point. À peine cette pensée se formule-t-elle dans ma tête que je me rends compte que ce n'est pas aussi vrai que je le pensais. Mes muscles sont justes engourdis et le seul endroit où je souffre encore est ma plaie. Lentement, je m'assoie en tailleurs. Arzaylea bondit en arrière. Je lève une main pour la rassurer. Je me sens plutôt bien. La fièvre a fini par tomber. J'ai juste horriblement faim. Je me demande si j'aurai assez de force pour me lever et repartir. Soudain, je suis certain que je ne vais pas mourir. Je me sens au contraire plein de vie. Je me racle la gorge et m'adresse à Arzaylea.
- Je suppose que tu n'auras pas l'amabilité de m'offrir à manger.
- Non, en effet...
Bizarrement, elle semble effrayée. Elle recule encore un peu. J'entreprends de faire rapidement l'inventaire de mon sac, comme d'habitude. Mes ongles violets détonnent étrangement contre la toile kaki.
- Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! s'exclame-t-elle, soudain énervée.
- De quoi tu parles ?
- Il y a deux minutes t'allais mourir comme un rat et maintenant t'es en pleine forme ! Qu'est-ce qui se passe ?
Je hausse les épaules, n'en sachant pas plus qu'elle. Précautionneusement, je soulève le bandage de mon bras. Une horrible odeur de pourriture s'en échappe. Les plaies ont cicatrisées, laissant quatre longs traits boursouflés violets comme mes ongles. La douleur n'est plus que diffuse, à peine un picotement le long des griffures. Mes habits sont éparpillés autour de moi. Même si je n'en ressent pas le besoin, je les enfile. Il faut dire que j'ai une femme en face de moi, même si on s'est déjà vus avec moins de vêtements que ça. Cette dernière me dévisage les yeux écarquillés. Je remarque les filets de vapeur qui s'échappent de son nez à chaque respiration. Moi je ne ressens aucun froid, aucun frisson ne me parcourt. Sous mes doigts la terre est glacée. Je tâte mon front pour m'assurer que je n'ai plus de fièvre. Il ne doit pas faire si froid que ça. Finalement, je me lève. Le monde tremble et tourne avant de se stabiliser sous mes yeux. Tout me semble étrangement coloré et brillant. Peut-être que j'ai encore un peu de fièvre finalement... Je passe les bretelles de mon sac lorsqu'un déclic résonne dans mon dos. Je sens derrière ma tête la brûlure glacée d'un canon de pistolet.
- Qu'est-ce que tu fais ?!
Me visant toujours à bout portant, Arzaylea répond d'une voix hachée :
- Je ne peux pas te laisser vivre... Premièrement parce que tu m'a volée, et deuxièmement parce que tu es infecté.
Elle défait la sécurité du pistolet. Je peux presque sentir son doigt trembler sur la gâchette. Elle ne devait pas avoir cette arme lorsque j'ai dormi avec elle, sinon je lui aurais prise aussi.
- Arzaylea... ne fais pas ça. Je ne suis pas infecté.
- Je sais ce que je vois, répond-t-elle en lâchant un petit rire nerveux.
- Mais tu vois bien que je ne suis pas un zombie !
Sans lui laisser le temps de répondre, je pivote vivement et saisis le canon du pistolet. Je le lui arrache des mains. J'allais le retourner contre elle lorsque je constate la profonde empreinte que ma main a laissé sur l'arme. Le métal est froissé comme s'il s'était agit de papier, rendant l'arme inutilisable. Comme brûlé, je la laisse tomber dans l'herbe. Arzaylea s'écarte elle aussi brusquement. Elle dégaine un couteau. Sa main tremble. Tout son corps tremble et son cœur s'emballe. Je me fige. C'est bien le sang que j'entends pulser dans les veines d'Arzaylea ? Les battements qui me parviennent à un rythme effréné sont-ils véritablement ceux de son cœur ? J'ai terriblement faim et toute la chaleur moite qu'elle dégage ne m'aide pas à me concentrer. Nous nous regardons à présent en chien de faïence. Arzaylea est la première à briser le contact.
- Laisse-moi juste partir.
Je hoche la tête. Sans demander son reste, elle s'enfuit en courant. À mes pieds gît toujours le pistolet tordu.
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Zombie
Science Fiction''Je reprends connaissance le visage écrasé contre la terre mouillée, sentant confusément l'humidité de l'averse au dessus de moi. Je reste longtemps allongé comme ça, la pluie battant mes joues et mes mèches mouillées collant à mon crâne. La bosse...