5

12 4 0
                                    

Le lendemain, je sais que la nouvelle de ma parenté avec Angel a fait le tour du camp puisque tout le monde me regarde de travers - je veux dire, plus de travers qu'avant. J'allais atteindre la tente des scientifiques avec Ryan et Martin lorsque j'entends des gens crier. Ou plutôt se disputer.
- Tu peux pas te rendre là-bas ! C'est interdit !
- J'en ai rien à foutre ! Je veux le voir !
Mon sang ne fait qu'un tour. Cette voix. C'est Arzaylea.

Bien sûr que nous avons couché ensemble lorsque nous avons campés tous les deux. Je l'avais rencontrée à la sortie de Winnipeg, ou plutôt ce qu'il en restait. Elle était seule, et moi aussi. Ça faisait des semaines que je n'avais pas parlé à quelqu'un. Mais je n'avais pas oublié comment draguer une fille. Elle ressemblait beaucoup à la survivante type des films américain. Grande, blonde, élancée. Sauf qu'elle jurait comme un charretier et que son destin n'était pas de se faire arracher son T-shirt par les zombies. Nous nous sommes bien entendus et avons passé quelques jours ensemble. Pas les plus reposants de ma vie, je dois l'avouer. On marchait et parlait le jour, on baisait la nuit. Je l'appréciais et je crois qu'elle aussi. Peut-être pas d'amour, mais au moins d'amitié. Et puis est arrivé cette fameuse nuit où je me suis réveillé plus tôt que d'habitude. J'ai alors décidé de lui voler ses affaires et de m'en aller. C'est un euphémisme de dire que je m'en veux de l'avoir traitée ainsi. Elle méritait mieux. Seulement, dans ce monde de merde dans lequel j'erre, personne n'a ce qu'il mérite vraiment, surtout pas ceux qui mériteraient un aller simple pour les enfers.

- Arzaylea !
Je crie son nom. Elle se retourne vers moi. Nos regard se croisent. C'est une tempête, c'est un océan entier. C'est des milliers de cristaux de glace qui me transpercent. Elle ouvre la bouche, et elle crie mon nom.
- Rick !
Sans faire attention au soldat avec qui elle était en train de s'embrouiller, elle court vers moi. J'ai à peine le temps de reculer qu'elle me percute dans un tourbillon de cheveux blonds. Ses bras m'enserrent comme un étau, sa poitrine est pressée contre mon torse. Je sens son pouls, sa respiration saccadée contre ma nuque, les battements erratiques de son cœur. C'est comme lorsque nous faisions l'amour, sauf que cette fois ses mains agrippent mon dos comme si elle allait tomber à la renverse. Et je sens dans mon dos la pointe d'une lame qui creuse son chemin entre mes omoplates. C'est une étreinte mortelle, et le temps que je le réalise, le sang coule dans mon dos et je ne vois plus les éclats blonds des cheveux d'Arzaylea que par intermittence. La douleur ne vient qu'après, c'est un incendie entre mes épaules. Le soleil me nargue entre ses mèches, j'ai froid au front. Un coup de feu résonne près de moi et je tombe, entraînant dans ma chute le corps de mon assaillante.

Je flotte dans une espèce de brume cotonneuse où le temps n'a pas sa place. Le brouillard de mon esprit me rappelle des réveils paisibles dans des champs, les croassement des corbeaux dans le ciel blanc et des espaces infinis. J'ignore si il s'agit d'un rêve ou bien d'une réalité. Peut-être pas la mienne. Parce qu'il n'y a pas de cieux blancs dans ma vie.
La douleur n'arrive pas tout de suite. Elle s'immisce lentement mais sûrement, de sorte à ce que je ne sache jamais vraiment quand j'ai commencé à avoir mal. Elle est comme un fleuve tranquille qui coule à travers moi, irriguant chaque centimètre carré de mon corps d'élancements douloureux.
- Ses constances vitales sont stables. Il devrait bientôt se réveiller.
Cette voix m'évoque des doigts gantés de plastique, des seringues et bien sûr son imbitable carnet de note. Quelques instants passent avant que je ne puisse mettre un nom dessus. Brittany McDean.
- Très bien. Le colonel sera content.
La deuxième voix me rappelle bien plus de choses. Ma ville natale au Canada, des après-midi passés à la patinoire, du sang sur mes mains, beaucoup de sang.
- Angel.
Son nom est sur mes lèvres avant que je n'ai même eu le temps de le penser. J'ouvre les yeux brutalement. Ai-je dormi ? Plus probablement, je me suis évanoui. Je me souviens d'Arzaylea et de son couteau. Ainsi, elle n'a pas renoncé à me tuer. J'aurais dû m'en douter. Mais comme ça m'étonnerai beaucoup que le sergent McDean se trouve dans mon enfer personnel, j'en déduis que je suis toujours de ce monde.
- Rodrick ? Comment vous allez ?
Je regarde lentement autour de moi avant de répondre. Je me trouve dans une tente qui m'est inconnue, remplie de lits bas et de gens agonisant dessus. C'est un hôpital. Je tente de me redresser. Une vive douleur dans mon dos m'en empêche. À ma gauche mon frère m'observe sans dire un mot.
- Euh... ça va. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Cette fille a essayé de vous poignarder. Elle a refusé de nous dire pourquoi. Ils sont en train de l'interroger.
- Ne lui faite pas de mal ! je lance d'un ton pressant.
Je ne supporterais pas qu'ils la blessent par ma faute.
- Vous savez pourquoi elle a fait ça ? demande Brittany en haussant les sourcils.
- Parce que je suis un connard. Pourquoi je ne suis pas mort ?
- Les chirurgiens vous ont recousu avant que vous n'ayez eu le temps de perdre trop de sang.
J'essaie de passer une main dans mon dos mais tout ce que je sens est un épais bandage. Angel ne cesse d'observer tous mes faits et gestes.
- T'aurais aimé que je crève Angel ? je souris en l'obligeant à croiser mon regard.
- Brittany, tu peux nous laisser seuls s'il-te-plaît ?
La scientifique acquiesce et quitte la tente non sans embrasser mon frère sur la joue. Je grimace.
- Je ne suis pas comme toi Rick, je ne souhaite pas la mort des gens moi.
- Quel garçon mature.
- Imbécile.
- Je retire ce que j'ai dit.
Il soupire et nous restons un moment sans rien dire. J'ai mal au dos. Je fais une nouvelle tentative pour m'asseoir et Angel m'aide.
- Tu vas me pardonner un jour ?
- Peut-être quand tu sera mort.
Il touche sa poitrine, là où je sais qu'une croix chrétienne repose contre sa peau. Il a toujours été très croyant. Mais où était Dieu lorsqu'il avait le plus besoin de lui ? Où était Dieu lorsque son grand frère l'a abandonné ? Il n'a pas perdu la foi. Il a toujours été meilleur que moi. Et regarde où nous en sommes à présent. Il est capitaine de je ne sais quoi, et je suis un putain de zombie suspendu entre la vie et la mort. Je ne me rend compte que je pleure que lorsque Angel prend ma main dans la sienne.
- Je ne sais pas si je pourrai te pardonner. Mais je vais essayer, je te promets. Nous avons trop souffert pour continuer à nous faire du mal.
- Angel...
Il me prend dans ses bras en faisant attention à ma blessure. Peut-être qu'il reste quelque chose entre nous, quelque chose que nous pourrons rebâtir. Peut-être.

Quelques jour plus tard, les docteurs me disent qu'ils sont inquiets à mon sujet. Ma blessure ne se guérit pas comme elle devrait le faire. J'ai vu la plaie dans un miroir hier. C'est une cicatrice noirâtre et poisseuse de sang coagulé. Pas besoin d'être un génie pour deviner que ça ne guérira pas mieux. La plupart des zombies se baladent avec un bras en moins ou un trou dans le ventre et leur chair se contente de pourrir puisqu'ils sont déjà morts. La peau s'est plus ou moins refermée, mais je ne peux pas me pencher sans ressentir une vive douleur dans le dos. Quant aux griffures que m'avait infligées la zombie qui m'a contaminé, elles n'ont pas mieux cicatrisé. Je les vois tous les jours, quatre longs traits violacés et légèrement en relief sur mon avant-bras.
Derrière moi, le sergent McDean passe un doigt ganté sur les points réalisés par les chirurgiens. Je suis assis torse nu sur une table d'examen et elle a demandé à regarder la blessure que m'a faite Arzaylea. Dans un coin de la tente, mon frère nous observe. Il reste souvent avec moi ces temps-ci, et même si il prononce rarement un mot, sa présence a quelque chose de rassurant. Comme si il était l'assurance que rien ne pouvait m'arriver ici. Que personne ne pourrait me faire de mal. Quelle ironie. Il est sans doute le premier de qui je devrais me méfier.
- J'aimerai voir Arzaylea, je déclare de but en blanc.
La pensée que je dois m'expliquer avec elle tourne et retourne dans ma tête depuis que je me suis réveillé à l'hôpital. Je veux la voir.
- Pourquoi ? demande derrière moi Brittany.
- Il faut que je lui parle.
- J'ignore ce qu'ils ont fait d'elle. Une tentative d'assassinat, ce n'est pas rien.
- Vous plaisantez ? Vos soldats ont pas failli me tuer à peine j'ai posé un pied ici peut-être ?
- C'est différent, tempère-t-elle.
- Elle est en prison, intervient mon frère.
- Cool, j'espère que je pourrai partager ma cellule avec elle au moins.
- Vous n'êtes pas emprisonné, soupire le sergent.
- Bah je sais pas ce qu'il vous faut, hein ! Vous êtes gonflée tout de même. Je ne crois pas avoir le droit de partir si je le veux.
- Vous êtes gardé en sûreté, c'est différent.
J'allais lui lancer une remarque amère lorsque Angel fait quelques pas dans notre direction.
- Tu pourras la voir si tu veux.
Je le remercie d'un regard. Je peux sentir la désapprobation du sergent irradier de derrière moi. Tant pis. Il faut que je vois Arzaylea.

Les gardes m'ont conduit devant le bâtiment en dur qui compose la prison d'Arzaylea. J'attends devant comme un idiot car je n'ai pas le courage de rentrer. Finalement, je pousse la porte.
Arzaylea ne m'a jamais parue resplendissante. Lorsqu'on doit chaque jour tâcher de survivre, l'apparence physique n'est pas forcément la chose à laquelle on pense en premier. Mais je ne l'ai jamais vue aussi négligée. Ses cheveux sont ternes et plats, son teint est presque aussi pâle que le mien et elle se tient voûtée comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules. Mais elle a toujours l'air d'une rescapée de la vie, d'une battante que rien ne peux atteindre. Je referme la porte derrière moi. J'ai mangé une heure avant, et je serai parfaitement à même de me défendre si d'aventure elle essayait à nouveau d'attenter à ma vie. Mais je ne pense pas qu'elle le fera.
- Salut, je lance d'un ton hésitant.
Ma voix résonne entre les murs vides.
- Salut, répond-t-elle.
- Le coup de couteau, c'était pourquoi ?
- À ton avis ? Te tuer, bien sûr.
- Je ne t'en veux pas.
Elle se redresse, croise les jambes, rive son regard sur moi. La femme qui m'a menacé d'un pistolet, celle qui a à nouveau tenté de me tuer quelques jours plus tôt revient. Instinctivement je me tends.
- Eh bien moi si. Tu ne m'a rapporté que des problèmes depuis qu'on se connaît. J'aurais aimé qu'on ne se rencontre jamais.
Même si j'ignore pourquoi, cette phrase me blesse plus que son couteau dans mon dos. Elle me déteste, peut-être plus que je me déteste moi-même.
- Je suis désolé Arzaylea.
Elle renifle d'un air dédaigneux.
- J'ai voulu te tuer parce que je pensais que tu devais mourir. Ce que tu es devenu... je ne peux pas le regarder.
Je baisse les yeux. Elle a raison.
- Je ne t'en veux pas parce que tu m'a volée, je t'en veux parce que... parce que tu m'a rendue faible. Je voulais tuer ce qui m'a affaiblie. Je voulais tuer un monstre.
Sa tête tombe entre ses mains. Figé, je regarde sous un angle nouveau cette femme qui m'a toujours parue si forte. Je ne l'ai jamais vue si fragile que maintenant, et elle dit que c'est de ma faute.
- Arzaylea...
- Ta gueule. Ferme ta putain de gueule. Je n'avais plus rien, je pensais avoir trouvé quelqu'un et tu t'es tiré comme un voleur. J'étais quoi pour toi moi ? Juste une meuf à baiser, juste un peu de compagnie pour pas que tu sois trop seul ? Et moi ? T'as pensé à moi ? Non. Les hommes ne pensent toujours qu'à eux.
- Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu veux dire ?
- J'étais tombée amoureuse de toi pauvre crétin !
Elle s'est levée à présent, et il ne reste rien de la créature fragile et brisée que j'ai entrevue il y a un instant. Je m'en veux tellement.
- Je...
- Va-t-en.
- Arzaylea....
- Qu'est-ce que tu comprends pas ? Casse-toi !
Je sors sans me retourner. Je sens mon cœur se briser dans ma poitrine et les sanglots secouer mon corps. J'avais tout faux, encore une fois. Il me semble que j'ai foiré cette entrevue ainsi que ma vie entière.

ZombieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant