Mardi 29 juin
I don't mind, if you don't mind – Elina
Jimmy est nerveux. Depuis le début de l'après-midi, son ventre est noué. Il va devoir reparler à ce garçon, ce fameux John Smith. À la bibliothèque universitaire, il a tout juste participé à la conversation, était absent. Rien que de se dire qu'il doit récupérer son portefeuille l'angoisse.
Je ne le connais pas ce mec.
Quand ils se sont rencontrés, il y a deux jours, John n'avait pas l'air d'accorder d'importance à son handicap, mais voilà, Jimmy se demande toujours comment les gens vont se comporter avec lui. C'est incontournable. Toute sa vie, il sera obligé de s'inquiéter de l'impact que sa différence peut avoir sur les autres. Et c'est à lui de gérer ça, pas à John, mais il n'y peut rien, ça le stress.
Est-ce qu'il dira quelque chose sur ma cécité ? Sur mes jambes ? Est-ce qu'il va me dévisager ?
Il prend une grande inspiration pour tenter de se détendre. Il sait très bien que de toute façon, il ne le verra pas, si c'est le cas. C'est un des bons côtés de son handicap. Il ne voit jamais les regards remplis de pitié.
Linda joue son morceau au piano pour le concours d'entrée au conservatoire et Jimmy n'arrive pas à se concentrer ; il se flingue l'intérieur de la lèvre. Elle a choisi « Nocturne en mi bémol, opus n°9 » de Chopin. Ce n'est pas une chanson si dure à reproduire en soi, mais toute la différence se trouve dans l'intensité de l'interprétation et la pression des doigts sur les touches. La sensibilité. Jimmy a appris à Linda à jouer avec son cœur, à ressentir la musique. Elle peut aujourd'hui jouer les yeux fermés, sans alterner la qualité de sa prestation. Jimmy est persuadé qu'elle entrera au conservatoire et d'une certaine manière, il voudrait qu'elle reste son élève pour toujours. Car il s'est attaché à elle.
— Jimmy...
Il relève les sourcils et se tourne vers elle. Il a laissé son mental divaguer et la jeune fille a arrêté sa musique.
— Tu n'écoutes pas, n'est-ce pas ? J'ai raté au moins deux passages sans que tu ne dises rien
— Désolé. J'étais dans mes pensées.Il devine qu'elle fait la moue.
— Tu n'as même pas entendu que je joue trop vite... Je suis pas en rythme.
Jimmy lève la main sur le haut du piano et la fait traîner sur le bois lisse pour trouver le métronome. Il l'active.
— Hmm... On va la rejouer avec le métronome.
— Je déteste le métronome, geint-elle.
— Je sais, jeune fille, mais si l'on veut que ce soit parfait, le rythme fait les trois quarts d'une prestation réussie. Et, quel est le dernier quart ?Jimmy se frotte la cuisse droite pour estomper la sensation d'engourdissement. Quand ses doigts pressent le muscle, il ressent une multitude de microdécharges dans sa jambe. Il bouge un peu sa cheville.
— L'émotion. Est-ce que ça va ?
Jimmy arrête son mouvement. Linda n'a que 17 ans et elle est très perspicace. Trop, peut-être.
Je suis en train de perdre mes jambes... mais sinon, tout va bien.
— Je vais bien, répond-il d'une voix égale.
Il a l'habitude de donner le change. Les gens ont souvent du mal à gérer ce genre d'informations, alors il préfère les garder pour lui. Linda n'y est pour rien... et il ne veut pas la rendre triste.
— Je sais que je suis ta favorite et que t'y vas doucement avec moi. Tu ne devrais pas, dit-elle.
— Comment ça ?
— Tu es trop gentil avec moi. Comme tout le monde. J'ai un visage d'ange et je suis consciente que je pourrais faire mieux. Tu es trop souple, car tu penses que je n'encaisserai pas si tu es plus dur avec moi.
— Linda, je te rappelle que tu n'es qu'une grosse tâche floue à mes yeux.
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PAPER PLANES - Quand tu plies tes avions en papier
RomanceJimmy s'est battu toute sa vie pour pouvoir tracer son chemin, être comme les autres. Il se bat au jour le jour contre la maladie et fait face à la douleur. Seulement, il n'y pourra rien. Un jour où l'autre, il devra bien abandonner la danse. Tout c...