III

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tu sais, cléo, parfois on me parle de toi.

en fait, le plus souvent, si tu veux que je sois honnête, je suis celui qui ramène ton nom sur la table. alors on me suit, parce que pourquoi pas ? chacun se demande si c'est pas un sujet un peu sensible, le genre qui fâche et fait couler les larmes ou taper du poing sur la table. on me regarde, on se regarde avec ce sourire gêné, ce sourire de bonne mesure sans conviction, celui qui s'interroge, qui remet tout en question une fraction de seconde, celui qui évoque un soupir discret qui veut tout dire, et en l'occurrence « aïe », « t'es sûr que tu veux en parler ? », « tu promets que tu pleureras pas ? »
je promets rien du tout
j'pleure pas trop, habituellement
parfois j'en ai envie, mais j'effectue pas l'action en elle-même
mes larmes restent cachées derrière mes paupières qui clignent avec indifférence, parce qu'il faut pas te montrer que ça va pas, on sait pas ce que tu pourrais en faire
j'aimerais bien que tu saches, que tu te rendes compte, parce que j'ai souvent l'impression que tu réalises rien du tout, que pour toi une page s'est tournée et que c'est juste soulageant

y a tellement choses que j'ai l'impression de pas avoir su faire
me faire aimer, par exemple

pourquoi tu m'aimes plus, cléore ?

j'ai posé la question quand on parlait de toi
j'ai demandé si quelqu'un savait pourquoi tu ne m'aimais plus
aucun des regards timides dans la pièce n'a su s'aligner de paroles pour me répondre
peut-être qu'ils savent pas, pas plus que moi, peut-être qu'ils savent et ne diront rien
peut-être que toi-même tu ne sais pas vraiment

comment le saurais-tu? t'as jamais su comprendre tes émotions, et certainement pas les exprimer
sûrement que si tu lisais ceci, tu serais confuse,
pourquoi est-ce que je le prends personnellement ainsi ?

« c'est pas ta faute, nolan, c'est pas ta faute si je t'aime plus »
« c'est juste
parti
ça s'est estompé
envolé
ça a disparu et j'ai rien pu retenir
c'est comme ça, c'est pas ta faute nolan
t'as rien fait et t'as pas à t'en vouloir »

mais je cesserai jamais de me dire qu'il y a évidemment une raison à ça
on peut pas ne plus aimer quelqu'un d'un coup, comme ça, pas vrai?
j'peux pas m'empêcher de me dire que peut-être, il n'y avait rien à aimer
il n'y avait rien d'assez fort en moi pour attiser ton amour, ou peut-être qu'il y a eu, un jour?
peut-être qu'il y a eu un éclat qui a attiré ton regard,
et que cet éclat s'est estompé, comme un éclair d'orage, et moi j'en subis le tonnerre qui résonne en retard

j'suis pas aimable, moi ? j'en ai jamais vraiment douté
j'ai toujours eu ce sentiment, ne te méprends pas
c'est pas propre à toi, à notre situation
tu confirmes juste toutes les pensées qui tourbillonnent dans ma tête
les hypothèses croisent les faits, et ils se serrent la main, et moi j'subis les événements comme si la pression échangée entre leurs phalanges était effectuée sur ma gorge
j'étouffe, je sais pas trop ce qui m'étouffe
la culpabilité,
la tristesse ?

non, jcrois que ça devient de la colère

j'suis en
colère, cléore

j'crois que je mélange tout
colère, cléore
ça s'écrit presque pareil finalement
il est des hasards qui n'en sont pas, peut-être, sûrement, je suppose
j'suis pas un gars superstitieux
j'suis juste un gars en colère

anagrammesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant