Chapitre 2

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Mira, épuisée par sa folle nuit, suivait Nate avec peine. Ses genoux bleuis par sa chute de la veille la faisaient souffrir. Elle se sentait sale, rien à voir avec la jeune elfe pleine de vigueur et en bonne santé qu'elle était habituellement, et son périple n'avait même pas encore vraiment commencé. L'elfe aux cheveux roux la devançait de deux mètres environ, il se retournait souvent afin de vérifier si Mira le suivait toujours et devait s'habituer à la lente cadence de l'elfe affaiblie. Il ne donnait pas cher de sa peau mais quelque chose en elle le poussait à l'aider. Il ne savait pourquoi mais il la trouvait attachante, sous ses traits de princesse en détresse. Elle lui rappelait sa petite soeur Emie, petite mais débrouillarde. Elle n'avait peur de rien. Emie lui manquait atrocement mais il savait pertinemment qu'il ne la reverrait jamais. Elle était en proie à un mal dont il ne savait que faire. Pour sa petite soeur, il aurait été prêt à braver toutes les atrocités de ce monde. Pour elle, il aurait donné sa vie. Mais sa vie à elle était déjà perdue, condamnée aux limbes des ténèbres. 

L'elfe bleue s'arrêta soudainement. Elle entendait un son familier, comme un ruissellement. Elle écouta attentivement pour savoir d'où venait ce bruit qui lui était cher, ne bougeant plus d'un pouce. Il venait de sa gauche, au-delà d'un petit monticule de terre. Mira tourna vivement la tête sur le côté et se dirigea vers la source de son attention. Elle traversa le monticule et arriva devant un petit ruisseau d'à peine vingt centimètres de large. De l'eau. Son élément. D'un geste assuré, elle agita frénétiquement ses doigts et forma une bulle qui vint se glisser doucement sur son visage, l'hydratant et la rafraîchissant. Mira se sentit revivre. Grâce à son don, elle s'enveloppa délicatement de l'eau claire. La saleté accumulée depuis la veille disparut comme si elle n'était jamais apparue. L'elfe reprit goût à la vie. Une fois débarrassée de toute salissure, la jeune femme aux cheveux de jais leva les yeux vers Nathanaël qui la fixait, songeur. Elle se demandait ce qu'il pouvait bien penser. Il se mit alors à prendre la parole, d'une voix dure :

" Si Mademoiselle a bien fini sa toilette, nous pourrions peut-être repartir ? J'ai vraiment autre chose à faire que l'attendre sagement comme un toutou, se plaignit-il.

- C'était urgent, répliqua Mira, tête basse. 

- Mais oui, suis-je bête ? Se débarrasser de sa crasse est bien plus urgent que de sauver ses petites fesses, où avais-je la tête ? ". 

Il tourna les talons et se remit en route, sans plus un regard derrière lui. Si elle se perdait, ce serait sa faute à elle, point barre. 

Les deux nouveaux acolytes marchèrent pendant une journée entière jusqu'à la sortie de la forêt. Heureusement pour eux, plus aucun être ne vint les perturber. Le ciel pouvait enfin se discerner, de gros nuages noirs se profilaient à l'horizon et présageaient déjà une tempête à venir, mais cela n'était pas la priorité de l'elfe d'eau. Mira, reconnaissante envers son sauveur, le remercia pour ses services.
« Nous voilà sortis de Grivendge. Merci d'avoir pris ma défense contre des Gobelins hargneux, merci de m'avoir accompagnée jusqu'à des terres moins hostiles, merci de m'avoir sauvé la vie, tout simplement. J'ai une dette envers toi maintenant.
- Mais non, tu ne me dois rien, voyons... J'ai bien aimé avoir de la compagnie, ça me change. J'ai plutôt pour habitude d'être très seul, lui répondit Nate avec un sourire en coin. 

Mira fronça les sourcils, perplexe.

- Pourquoi es-tu si seul ? Toi qui es l'un des plus grands princes jamais connus, qui as bravé de multiples dangers pour sauver ceux qui te sont chers. Pourquoi n'as-tu pas des gardes qui te suivent ? Et pourquoi voyages-tu au juste ? Lui demanda l'elfe bleue.
- Oulah, doucement. Trop de questions d'un seul coup et trop de réponses que je ne pourrais t'apporter. Dis-toi juste qu'il y a un mal qui rôde et qu'on m'a assigné à une tâche importante pour laquelle je dois me faire discret, voilà tout. Maintenant, si tu veux bien m'excuser... J'ai accompli mon rôle de chevalier servant, je dois dès à présent te laisser. Tu n'es plus tant en danger et tu devrais facilement retrouver l'homme que tu cherchais. La plaine Hallios regorge d'êtres bienveillants, rien à voir avec les petits Gobelins pustulants qui voulaient te dévorer toute crue. Ici, tu trouveras de l'aide.
Mira, vexée dans sa fierté pour ne pas avoir eu de réponses à ses questions, hocha brièvement la tête, fit un signe de la main à l'elfe de terre et se mit en marche, la tête haute. Elle entendit juste un léger « À bientôt, princesse », perdu dans le vent.
La noble elfe suivit un long sentier de terre battue qui descendait d'une colline verdoyante vers un petit village de paysans. Elle ne savait pas exactement vers où aller mais n'importe quel endroit serait préférable à la forêt maudite d'où elle venait.
Aucune porte n'était présente à l'entrée du village, ce qui laissait à supposer qu'il n'était pas gardé. Tout le monde pouvait y entrer à son aise.
Mira accéda donc à une petite ruelle à l'intérieur de laquelle des maisons à colombage lui rappelaient son enfance à Ikaria, village côtier dans lequel elle avait passé une grande partie de sa vie, lors de vacances en famille, loin des perturbations de la cour. 

De nombreuses personnes s'affairaient au labeur du quotidien : sur la droite de Mira, trois femmes filaient du coton à l'aide de rouets et deux autres plongeaient du linge dans des bassines d'eau claire ; sur sa gauche, un homme d'une soixantaine d'année, mais vigoureux pour son âge, installait des poissons aux odeurs fumées sur un étal. 

Mira se sentait à son aise. Elle appréciait les plaisirs simples de la vie : des enfants jouant en se courant après et riant aux éclats, la senteur de fleurs fraîchement coupées, une rivière qui traversait le village, laissant des effluves iodées. 

Perdue dans ses pensées nostalgiques, l'elfe percuta une jeune femme d'une petite vingtaine d'années aux cheveux blonds comme les blés. Elle manqua de tomber et de se ridiculiser. L'elfe rougit jusqu'à la racine de ses cheveux et se confondit en excuses maladroites alors que la paysanne rit de bon cœur. Mira se sentit confuse. La jeune femme lui répondit avec un sourire rayonnant :
« Ne vous en faites pas madame, cela arrive à tout le monde. 

L'elfe resta stoïque. La paysanne renchérit : 

- Je vois que vous n'êtes pas d'ici, vous. Bienvenue à Waliis, en tout cas. Le village aux mille songes". 

Waliis... Ce nom disait quelque chose à la jeune Mira. Elle ne se trouvait peut-être pas si loin de Randalph, tout compte fait. 



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