- Chapitre 4 - Ruby - version finale

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Gold ne m'a pas reconnue hier soir. S'il l'avait fait, il ne m'aurait pas regardée avec autant d'indifférence devant le diner... Tant pis pour moi ! En même temps, à quoi m'attendais-je ?

Un peu frustrée, je prends la commande de ma mère au comptoir du restaurant. Lorsque j'en ressors, les Styx Riders ont disparu. Je les croise de plus en plus ces temps-ci. Auparavant, les rencontrer dans les quartiers nord était rare. Il doit se passer quelque chose dans leur club, quelque chose qu'une fille comme moi ne peut pas comprendre...

Il me faut dix minutes pour rentrer chez moi, en passant par une pharmacie. Clay dort toujours à poings fermés quand j'entre dans la maison, et ma mère peine avec les triplés. Le truc avec eux, c'est qu'ils tombent malades en même temps ! En ce moment, ils couvent un début de rhume.

— Voilà ce que m'a donné la pharmacienne, annoncé-je en donnant un sachet en papier craft à ma mère. Ça devrait les aider à aller mieux. J'ai aussi déposé ton petit déjeuner dans la cuisine.

Je tends ensuite les bras vers ma petite sœur, Joyce, en soupirant :

— Viens-là, toi, ma petite chérie. Oh, tu ne te sens pas bien, je sais...

Je la berce lentement tandis que ma mère me décoche un coup d'œil soulagé.

— Merci, souffle-t-elle. Je devais bosser chez madame Richardson demain, je vais annuler pour emmener les triplés chez le médecin.

Ma mère travaille quelques heures par semaine chez des particuliers, dont elle fait le ménage. Pendant ce temps-là, c'est Kaysie, sa meilleure amie, qui garde les enfants. Contrairement à Clay, bien incapable de lever le petit doigt pour faire quoi que ce soit dans cette maison. Il ne parvient pas à garder un job : il en change si souvent que maman ne peut jamais être certaine qu'il apportera un salaire à la fin du mois. Et ses virées fréquentes au casino n'arrangent rien...

J'aurais bien proposé à ma mère d'aller chez le docteur à sa place, mais j'ai des cours à la fac toute la journée demain. Je me promets de trouver du temps tout de même pour l'aider autant que possible au cours de la semaine à venir.

Peu à peu, Joyce cesse de geindre entre mes bras. Épuisée, elle s'endort même une demi-heure après que ma mère lui ait fait prendre ses médicaments. Jayden et Jayson rendent eux aussi les armes dans la foulée. Maman et moi les montons dans leur chambre, puis je m'attaque à la préparation du déjeuner pour ce midi. Je suis plutôt douée pour confectionner des gâteaux et des pâtisseries diverses, grâce à ma mère. Elle m'a tout appris ! En revanche, je suis moins forte pour les plats salés. Aussi, quand Clay descend pour mettre les pieds sous la table, il râle devant mes simples wraps aux crudités. Concentrée sur un devoir à rendre pour mardi, j'ai fait brûler le gratin de pommes de terre que j'avais prévu initialement... Je me retiens de le lui dire, sinon il risque de s'énerver.

La seule chose que j'aime chez mon beau-père, ce sont les enfants qu'il a donnés à ma mère. Si Joyce, Jayden et Jayson n'existaient pas, je suis convaincue qu'elle aurait largué ce poivrot depuis longtemps.

Comment a-t-elle pu accepter de sortir avec ce type ? Ça me dépasse... Dans le genre enfoiré, on ne fait pas pire...

Pendant qu'il critique la nourriture, j'échange des textos avec Cassie. J'aimerais lui demander si son frère lui a parlé de moi ou de Lux... mais je suis réaliste : probablement pas. Alors je préfère ne lui poser aucune question, de peur de trahir le secret de mon job à la Luxure.

[Vous me manquez trop, Alex et toi, m'annonce-t-elle avec un smiley triste.]

[Toi aussi. On se voit bientôt ! lui envoyé-je en réponse.]

***

Le lendemain soir, je me gare sur le parking réservé au staff de la Luxure, agacée par les humeurs de mon beau-père que j'ai dû subir aujourd'hui encore. Je prends quelques instants pour me ressaisir derrière mon volant tout en observant ce qui m'entoure. Ma voiture fait tache à côté de celles des autres employés. Je l'ai achetée d'occasion il y a deux ans, après avoir trimé en tant que plongeuse dans un restaurant du centre-ville pendant toutes mes vacances scolaires. Avec mes maigres économies, c'était le seul véhicule dans mes moyens...

Je me décide enfin à sortir. À peine ai-je verrouillé mes portières qu'un éclat de voix me parvient. Instinctivement, je jette un coup d'œil aux agents de sécurité qui gardent l'entrée du club. Ils ne font pas mine de vouloir intervenir, l'air plutôt embarrassés. Je comprends pourquoi en suivant leur regard. Appuyée contre sa voiture, Lady hurle au téléphone, furieuse.

— Tout ça, c'est votre faute... Évidemment que je lui ai demandé, plusieurs fois même !

Mal à l'aise, je m'approche des vigiles. Lorsque je suis à leur hauteur, l'un d'eux me glisse :

— Elle est de mauvaise humeur depuis son arrivée...

— Vous savez ce qu'elle a ?

Lady a baissé d'un ton, mais son visage reste tordu par la colère. Son interlocuteur ou interlocutrice doit vraiment l'énerver, parce qu'elle envoie plusieurs coups de pied dans sa roue avant de raccrocher. Ensuite, elle reste immobile pendant une minute, les yeux fermés, le souffle saccadé. Je ne rentre pas à l'intérieur du club, préférant l'attendre, inquiète.

— Désolée, lance-t-elle finalement en me rejoignant. Un différend à régler.

— Tout va bien ?

Elle me sourit et m'affirme :

— Oui, vraiment. On y va ?

Sur ce, elle entre la première dans le long couloir qui mène aux loges. Sa démarche tendue m'apprend que malgré ce qu'elle prétend, elle ne s'est toujours pas remise de son coup de téléphone. Qu'est-ce qui a bien pu la mettre dans cet état ?

— Tu... tu veux parler ? lui proposé-je alors que nous entrons dans la vaste pièce commune.

— Ça ira.

Ici, l'air sent le maquillage, le parfum floral que nous portons toutes, mais aussi l'excitation liée aux représentations imminentes. J'aime ces effluves qui me plongent instantanément dans l'atmosphère de la Luxure... Et aujourd'hui, plus que jamais, j'ai besoin de m'y plonger : ce soir, je me produis pour la première fois non plus seulement devant quelques VIP triés sur le volet, mais dans la salle principale du club.

— Prête ? me demande Lady, avec une mine joviale que je sens un peu forcée.

— Oui, mais je suis un peu stressée, lui confié-je. Le chant, je maîtrise, mais la foule, c'est une autre histoire...

— La foule va t'adorer, m'assure ma collègue en attachant ses cheveux. Je dois y aller, on se voit tout à l'heure.

Elle s'éloigne, et j'attrape à mon tour ma robe pailletée et mon demi-masque scintillant. Sous les projecteurs, Lux va briller de mille feux...

Une fois en costume, je m'efforce de maîtriser mon trac. Je ferme les yeux, prends une profonde inspiration et imagine que mon père me regarde. Si je me concentre, je peux l'entendre m'assurer que tout va bien se passer. Et même si ce n'est qu'un souvenir d'enfance embelli par le temps, je m'y raccroche...

Quelques minutes plus tard, je me dresse sur scène, attendant que le rideau se lève. Je souffle tout l'air de mes poumons, laissant lentement la personnalité de Lux prendre le dessus sur celle de Ruby.

Enfin, je me retrouve face à la foule. Les yeux se posent sur moi, le silence empli des attentes de mon auditoire me frôle comme un frisson. C'est à moi de jouer, maintenant.



S T Y X - R I D E R S - III 🎭 La luxure d'Ares - sous contrat d'éditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant