Troisième partie - Entre respiration et apnée

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 Quand on nous annonce ce deuxième cancer, je suis plus âgée, je rentre dans l'adolescence et je prends pleinement conscience de la gravité de la maladie. Je ne réalise pas encore à quel point ça va être difficile à endurer psychologiquement. Nous sommes à l'hôpital quand papa me l'annonce, mon monde s'effondre, mon cœur brûle à l'intérieur, je ne sais pas comment réagir. Est-ce que je dois pleurer ? Est-ce que je dois la rassurer ? Est-ce que je dois faire comme si de rien n'était ? Me voilà donc perdue, je refuse d'entendre. Pourtant la réalité est bien là et je vais très vite m'en rendre compte.

  À peine le diagnostic posé, nous sommes submergés par une vague violente d'émotions, le traitement commence.

 Bienvenue au service d'hématologie stérile. C'est le premier service qui me laisse des marques physiques comme psychologiques. Il représente pour moi le vide. Il est coupé du monde extérieur, on y oublie ce qui se passe dehors. Je me sens déconnectée de la réalité. Quand je rentre dans ce service, j'ai l'impression de vivre une autre vie, de ne plus être moi-même.

 Il porte bien son nom. Les locaux, le personnel, les visiteurs, tout doit être stérile. Du haut de mes 14 ans, je ne comprends pas forcément tout le protocole imposé pour entrer dans la chambre, mais je le respecte sans broncher.

 Le protocole, le voici. Nous arrivons tout d'abord dans une petite pièce où se trouvent vêtements, lavabos, vestiaires, et douches. L'ordre des tâches à effectuer est stricte et il ne faut rien oublier. Nous commençons toujours par nous laver les mains jusqu'à l'avant-bras avec un ordre de gestes bien précis. Le savon me provoque des réactions cutanées : eczéma, lésions de grattage, et une sécheresse importante. Je sais que ce savon détruit toutes les bactéries mais il détruit aussi ma peau à force d'utilisation. Pourtant je continue. C'est la seule façon de voir maman. Une fois le lavage de main terminé, il faut refaire les mêmes gestes avec le gel hydroalcoolique. Arrive ensuite le moment de changer de vêtements. Ils sont toujours trop grands pour moi, ils n'ont pas pensé à la taille enfant. Un nouveau lavage de mains au savon, puis au gel. J'enfile ensuite ma charlotte sur la tête et mes sur-chaussures. Dernier lavage de mains, cette fois seulement au gel. Enfin on entre dans le service, tout est toujours aussi blanc, l'atmosphère est aseptisée, le personnel se fond dans le décor, les objets sont comme neufs et aucune bactérie ne vole dans l'air. Avant d'atteindre la chambre de ma maman nous passons par un sas où nous enfilons un masque qui prend la moitié de mon visage. Après un énième lavage de main, nous enfilons des gants en plastique. Nous sommes fin prêts. La porte s'ouvre comme par magie, grâce au détecteur de présence.

 Plus les jours passent et plus j'ai du mal à venir. Mes visites s'espacent. Je ne supporte plus ce savon, ce masque qui m'empêche de respirer, ces gants qui me grattent et qui me font transpirer. Ce protocole m'énerve de plus en plus.

Alors j'attends le retour de maman à la maison avec impatience. Pendant un an, elle passera un mois sur deux à l'hôpital.

 Au cours de cette année, je vois ma mère se détruire. Je n'arrive plus à voir la femme, je ne vois plus que la maladie. Dans ma tête, c'est « Salut cancer! » et plus « Salut maman ! ». Elle a perdu tellement de poids, il ne reste plus que la peau sur les os. Elle pèse alors 35 kilos. Son ventre est gonflé d'eau et son visage enflé à cause de la cortisone. Ses cheveux sont tombés petit à petit jusqu'à ce qu'elle devienne chauve. Des hématomes se forment partout sur son corps à cause des différents traitements. Le traitement, parlons-en, elle a un nombre incalculable de comprimés et autres trucs à prendre tous les jours. Sa peau montre un vieillissement précoce de par ses rides et les poches sous ses yeux. Ses mains et ses pieds sont bleus, violets, jaunes... Sa peau rougit facilement et ses lèvres sont gercées. Seule la couleur de ses yeux me confirme bel et bien que c'est toujours ma maman.

Inspire, espèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant