Quatrième partie - Asphyxie

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 Après la leucémie et la greffe de moelle osseuse nous pensons sincèrement être tranquilles. On y croit vraiment. Chaque jour, on garde espoir en un avenir meilleur. Mais notre vie est faite de hauts et de bas et le calme cède sa place à la tempête.

Paris, été 2013,

 Les intestins de maman vont de plus en plus mal. Une énième opération est nécessaire mais personne ne veut l'opérer à Brest à cause de son dossier médical si compliqué. Nous faisons appel au chirurgien M. Fournier, directeur d'un des pôles de La Cavale Blanche, qui nous annonce qu'un seul chirurgien accepte de l'opérer : le professeur parisien Yves Panis. C'est le meilleur chirurgien de France dans sa spécialité. Nous prenons donc la route pour Paris en ambulance, un moyen de transport encore jamais utilisé par notre famille. Le trajet est désagréable. C'est long, très long, on a mal partout, on ressent chaque petit caillou sur la route. Le bus à côté c'est du quatre étoiles. Nous étions 3 à l'arrière : ma mère était dans un lit médicalisé, mon père dans un fauteuil, et moi sur une petite banquette en bois. Je vous laisse imaginer le confort. Mon père et moi, nous échangeons régulièrement de place. je ne suis pas serein. Arrivés sur place, on nous explique la procédure. En résumé, ils prévoient deux opérations : une première pour lui enlever les parties d'intestin trop abîmées (elle restera pendant quasi un mois avec une poche de stomie), et la seconde pour raccorder les intestins et rétablir un transit dit « normal ». L'interne nous explique avoir confiance dans le déroulé de l'opération, il est persuadé que tout se passera bien mais nous en doutons.

 Après ce discours plein de conviction, je me retrouve dans une pièce avec une personne qui se dit psychologue. Elle me demande de lui raconter mon histoire. Je soupire et me demande ce qu'elle va bien pouvoir en faire. Je m'exécute pourtant et lui réponds : « Ma mère a déclaré son premier cancer quand j'avais 2 ans, un cancer rare et difficile à soigner. Je ne sais pas comment elle a fait, mais elle s'en est sortie. Ensuite, pendant plusieurs années, on a été tranquilles. Juste, quelques tendinites, une opération de la thyroïde et d'autres petits soucis de santé, mais rien de grave. Nous avons donc eu de réels moments de bonheur sans la maladie. Pendant mes années de collège, elle déclare un deuxième cancer des suites de la myélodysplasie mais elle s'en sort encore une fois, après plusieurs allers-retours hôpital/maison. La greffe prend : trop bien, on va être enfin tranquille. En fait non, les conséquences du premier cancer se font sentir : elle est perfusée tous les soirs et ne mange plus pendant un an. On nous annonce alors une nouvelle opération. Voilà voilà : alors qu'est-ce que vous voulez savoir de plus ? » La psychologue reste stupéfait après ça, je viens de lui exposer les faits d'un ton neutre, sans sentiment, comme si j'étais habituée à tout ça. Comme si j'avais accepté l'idée que je ne verrai jamais ma mère guérir. Sa question suivante est : « qu'est-ce que tu ressens ? ». Je souris intérieurement, j'aurais voulu lui dire : « Ce que je ressens ? Sérieusement ? Écoutez, je vais bien, qu'est-ce que vous voulez que je dise moi ?». Par chance, elle voit bien que je n'ai pas envie de m'exprimer davantage et elle finit par me dire une phrase bateau « si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis là ». Je prends sa carte que je jette à la poubelle dans la foulée. Une fois ce rendez-vous terminé, je retrouve maman et lui raconte mon entretien. Nous partageons le même avis sur cette psychologue douteuse. Après cette journée fatigante, nous repartons à Brest. Ah, pardon, j'ai dit « nous », je voulais dire « Je ».

 Je n'ai aucune envie de partir et de laisser maman entre les mains de ces professionnels qui m'ont fait mauvaise impression. J'aurais dû partir rassuré mais c'est tout le contraire. Heureusement Papa reste ici auprès d'elle et cette idée m'apaise un peu. J'aurais voulu rester moi aussi mais ma rentrée scolaire m'attends. Comme à l'aller, le retour se fait en ambulance. Cette fois-ci, je suis dans le lit mais impossible de m'endormir. J'arrive à peine à avaler mon repas. J'arrive enfin chez moi. Je dis au revoir aux ambulanciers, rassure les amis de la famille et m'écroule de fatigue. Les jours passent, j'apprends à vivre seule dans la peur et dans l'attente de nouvelles de Paris. Je viens de rentrer en première, cette année c'est le BEP. J'obtiendrais ce diplôme sans trop savoir comment. C'est le dernier qu'elle me verra obtenir.

Inspire, espèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant