Obsession : Représentation, accompagnée d'état émotifs pénibles, qui tend à accaparer tout le champ de la conscience. → manie, phobie.
Quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle vive, quoi qu'elle pense, il hantait chaque recoin de son esprit, imprégnant le moindre souffle qui se déversait de sa bouche, inondant chacune des larmes qui avaient pu rouler sur ses joues récemment. Il était l'arme la tuant, et le seul remède pouvant panser sa plaie, le seul apte à soigner ses maux, à guérir son âme.
Depuis qu'elle avait fait sa rencontre, ce jour-là, la nuit enveloppant toutes choses, elle n'avait de cesse de se remémorer chaque détail de lui, jusqu'au fait que, dans son sourire, le coin gauche de ses lèvres remontait imperceptiblement plus que l'autre. Elle se rappelait de cet instant où son visage s'était tourné vers elle, où leur regard s'était croisé, où son cœur s'était emballé.
Il était là, debout sur l'autre quai, face à elle. Ses mains dans ses poches et cet air de pouvoir voir lire en les gens comme dans un livre ouvert affiché sur son visage, son beau visage. Les doigts de la jeune fille étaient restés en suspension dans ses longs cheveux, enroulés de nœuds auxquels elle ne songeait plus aucunement. En face d'elle se trouvait un inconnu bouleversant à la seconde même son monde.
Quel comble qu'ils aient eu un ami en commun ! L'adolescente, camouflée dans un sweat bien trop grand pour elle, enroulée dans sa couette, soupira bruyamment. La situation avait réellement dérapé, et elle avait perdu le contrôle de son cœur alors que le garçon en prenait les rênes. Une sorte de chorégraphie menée à la perfection, une synchronisation parfaite lors de la représentation du plus merveilleux des ballets.
Elle repoussa la couverture loin de son frêle petit corps et se leva, la tête emplie de question sans réponse. Du moins, des questions dont les réponses ne lui seraient que peu probablement transmises. Dès lors qu'elle avait compris le peu de chance qu'ils avaient de finir tous deux ensemble, elle avait tenté de restreindre ses songes, ses pensées involontaires, cependant cela avait l'effet inverse de la réaction escompté : ce questionnement incessant se faisant plus fort et plus présent.
Avaient-ils seulement une chance ? Rien qu'une seule, même maigre et peu probable ? Elle souffrait du peu d'espoir qu'elle parvenait à faiblement entretenir. Elle avait si mal. Néanmoins son esprit dérivait, lui permettant d'imaginer leurs deux corps enlacés, sa tête posée contre le torse du jeune homme, respirant d'une nouvelle manière, ses épaules libérées d'un poids bien trop lourd pour une personne seule. Elle créait mille et une conversations qu'ils n'auraient jamais, tant de gestes qu'il n'aurait jamais pour elle, et qu'elle ne pouvait malheureusement pas parvenir à sortir de sa tête.
Elle tituba jusqu'à sa fenêtre, soupira d'aise en voyant qu'elle n'avait pas fermé les stores, et grimpa sur le balcon, où elle s'appuya à la rambarde. Ses mains chaudes contre le métal froid créèrent un frisson qui remonta doucement le long de son échine. Elle ferma les paupières, rien qu'une fraction de seconde, et inspira l'air frais de l'extérieur, appréciant les jeux de lumières qui se dessinaient dans le noir le plus total.
Son cœur se serra à la simple idée que le garçon qu'elle aimait puisse en aimer une autre. Une nausée la saisit, violente et incontrôlable, et un léger jappement de douleur lui échappa. Une larme perla, et elle se promit que, à défaut de les bannir pour toujours, celle-ci serait la dernière de la journée. Elle souriait à l'évocation de son nom, et se sentait pourtant tirailler par la peur de se tromper sur ce qu'elle ressentait.
Tout cela était nouveau pour elle, d'une nouveauté terrifiante, pétrifiante. Elle avait connu presque toutes les relations possibles, allant jusqu'au paroxysme de la toxicité, mais jamais elle n'avait pu sentir peser sur elle un regard amoureux, protégée par des bras jaloux. Jamais quelqu'un n'avait autant envahi, accaparé son esprit d'une telle façon.
Partout elle voyait, lisait, entendait son nom, le murmurant comme une incantation lui permettant de poursuivre sa vie sans chuter. Une obsession. Son obsession. Il était devenu un point d'ancrage sans même le savoir. Les messages et les regards échangés se mêlaient à l'imagination dans la tête de la jeune fille, rêvant d'un jour courir jusqu'à lui, sauter dans ses bras et plongémer son visage dans son cou.
Son cœur manqua un battement alors qu'elle sentait finalement le froid de l'hiver au travers de ses chaussettes. Son téléphone, posé sur son lit, vibra, le son étouffé par l'épaisse couverture, cependant la lumière bleutée qui émanait de lui attira l'attention de l'adolescente qui ne se fit pas attendre avant de s'en saisir. Son corps, lourd quelques instants auparavant se fit soudainement bien plus léger, et un sourire rayonnant mangea l'ensemble de sa figure. Elle essuya rapidement une larme de joie.
À défauts d'être amoureux d'elle, ils se verraient lors de cette soirée du réveillon du nouvel an. À défauts de pouvoir presser ses lèvres contre les siennes, elle pourra l'observer à son insu. À défauts de sentir sa main serrée dans la sienne, elle pourrait le frôler de temps à autre. De quoi nourrir son obsession pour des années encore.
Elle l'aimait à en perdre la raison. Elle s'assit, dos au mur râpeux, et fixa la lune, à des lieues de là, le cœur plongé dans un vaste amas d'émotions et de sentiments. Malgré cette voix qui lui répétait en son for intérieur qu'ils ne seraient jamais ensemble, lui ne l'aimant pas comme elle l'adorait, elle se sentait apaisée, heureuse.
Comment aurait-elle pu penser qu'à cet instant précis, à moins d'un kilomètre, sondant le même ciel noir dépourvu de nuage et brillant de la lueur d'espoir des étoiles, le jeune homme songeait à elle, à son rire, à ses beaux yeux, et qu'il perdait, là, seul, toute retenue. Enfin, il se laissait souffrir en pensant à elle, en pensant à cette fille qui jamais ne pourrait l'aimer.
Se protéger de la souffrance et de la peine, voilà leur but en repoussant de leur esprit torturé le moindre souvenir de la personne aimée. Comment auraient-ils pu deviner ce que l'avenir leur réservait, s'empêchant d'y croire jusqu'à en pleurer, lorsqu'ils connaîtraient la vérité ?
Plonger dans leur obsession dévastatrice, ils ne s'abîmaient pas plus, mais réparaient une à une les erreurs du passé, pansant les plaies les plus profondes de l'autre...
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Recueil de Nouvelles
Short StoryOn fait pas plus clair que mon titre, si ¿ Je ne promets pas que du bonheur, que de la tristesse. Je promets des fêlures et des mots que trop vrais. Je promets le temps suffisant pour s'attacher.