Chapitre 1

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OCTOBRE

Je regarde le paysage défiler sous mes yeux à une vitesse folle. Nous sommes en plein saison d'automne et les forêts verdoyantes commencent à prendre des tons roux et rouges. Les arbres sont de plus en plus dépourvus de feuilles, comme s'ils étaient en train de mourir. Mourir !  A cette seule pensée, mes ongles s'enfoncent dans la chair de ma main. Je ferme les yeux et je prends une grande respiration afin de remplir mes poumons d'air. Je dois absolument oublier ces images qui tournent en rond dans ma tête depuis trois jours. Lorsque mes paupières s'ouvrent, je tente de regarder de nouveau le paysage mais mes yeux humidifiés ne me permettent plus de l'apprécier comme il y a quelques secondes. J'attrape mon sac à la recherche d'un mouchoir. Il y'a un tel foutoir dans ce fichu sac affreusement grand que je retourne tout son contenu frénétiquement sur le siège à côté de moi. Je manque d'air et mes larmes ne s'arrêtent plus de couler. Alors, qu'une crise de panique est en train de m'envahir, la passagère, en face de moi, me tend un mouchoir :

- Tenez.

Je la regarde, honteuse. Je ne me suis même pas rendue compte que cette personne me regarde depuis ma fichue crise.

- Merci. 

Je lui réponds la voix tremblante. La trentenaire m'observe et me sourit. Elle acquiesce comme pour me dire « c'est bon ma grande, ça va aller » et je suis soulagée car au moins je n'ai pas besoin de parler ni même de m'expliquer. J'essuie mes larmes en regardant à nouveau par la fenêtre du train. Le train ! Je crois bien que c'est la première fois que j'utilise ce moyen de transport. Dans ma famille, on n'utilise pas les transports en commun, la famille Varenne De Beautil utilise des voitures privées avec chauffeur ou des jets privés mais pas le train. Cette seule pensée me procure un minuscule sentiment de gaieté malgré le chaos qui règne dans ma vie. Prendre le train est un acte banal pour tout le monde mais pour moi, c'est un petit moment de liberté, un moment de normalité auquel je n'ai jamais eu le droit.

Ma rêverie se brise par mon téléphone portable qui se met à vibrer. Lorsque je regarde l'écran, une photo de moi et EP apparaît. Je me souviens parfaitement de cette photo faite avec mon cousin. C'était le soir de nos dix-huit ans. Nous étions sortis dans une boîte de nuit très prisée à Paris. L'alcool avait coulé à flots et nous avions fêté notre majorité, comme il se doit.  Edouard-Paul est comme un frère pour moi . Enfin il l'était. Nous sommes nés la même année. Lui en mai et moi en juin. Nous avons été élevé ensemble, dans la tradition familiale et nous avons absolument tout fait ensemble. Nous avions grandi comme une fratrie. Nous avions fréquenté les mêmes écoles et surtout j'avais toujours suivi mon cousin comme s'il était un genre de phare à suivre pour avancer. Son excès de confiance m'a toujours tenu dans son ombre mais je ne m'en plaignais pas car malgré les apparences, je n'ai jamais aimé être sous la lumière. 
Je tente de garder mon calme mais mes mains tremblent. Comment un homme dont j'étais si proche, peut me faire si peur aujourd'hui ? Il fallait que je me débarrasse de fichu téléphone car il arriverait à me retrouver. Avec toutes ses connaissances, il finirait par me localiser.
Je prends le temps de regarder tout de même ces messages.
 

LOUISE OU ES TU ?

C'EST LE BORDEL A LA MAISON. TOUT LE MONDE TE CHERCHE, RENTRE TOUT DE SUITE ET ARRETE TES CONNERIES!

LOUISE JE SAIS QUE TU AS PEUR MAIS MON PERE VA NOUS SORTIR DE LA.

PUTAIN JE VAIS DEVENIR DINGUE REPOND A CE PUTAIN DE TELEPHONE

Je ferme les yeux, de nouveau, à la recherche d'une échappatoire et j'essaie de me dire que je ne l'affronterai plus, plus jamais. J'éteins mon téléphone et remets toutes mes affaires dans mon sac à main. J'observe de nouveau par la fenêtre et les arbres sont remplacés progressivement par des habitations et des blocs de béton. Le train commence à ralentir et tous les passagers, qui étaient jusqu'ici calmes, commencent à bouger comme dans une fourmilière. Une dizaine de minutes plus tard, le train freine et le conducteur annonce l'arrivée à la gare de l'Est.

Lorsque je sors du train précipitamment, je cours le plus vite possible pour sortir des quais en traînant ma valise. Je me dirige vers l'extérieur de la gare. La première chose à faire était de balancer cette saleté de téléphone. Une poubelle se trouvant juste à gauche de la porte principale fait l'affaire. J'appelle le premier taxi que je vois et je fais signe au chauffeur. Il essaye de descendre pour prendre ma valise mais j'ouvre la portière et balance violemment le bagage dans sa berline. Je prends place et une fois attachée je lui demande de démarrer. Je regarde tout autour de moi afin de vérifier que personne ne me suis.

« Faculté de La Sorbonne, s'il vous plaît »

Perplexe, il démarre sans poser de question et ce n'est qu'à ce moment précis
que mon cœur se remet à battre. Il traverse la ville lumière avec une facilité déconcertante. Arrivée devant un énorme bâtiment, le chauffeur stoppe sa voiture. Je lui souris et lui donne un billet sans même regarder sa valeur. Il n'a même pas le temps de me rendre la monnaie que je sors déjà du véhicule.

Lorsque mes yeux se posent sur ce bâtiment vieux de plus de six cent ans, j'ai l'impression d'avoir atteint mon but. « Liberté, Égalité, Fraternité » sont écrits sur la façade. Ces mots résonnent dans ma tête. Depuis toujours, on m'avait appris que nous n'étions pas égaux aux autres et avec le temps, j'ai compris que je n'étais pas libre quant au côté fraternel, je ne me prononcerai même pas.

Je pousse la porte principale avec ma seule main libre et de l'autre, je tiens ma valise qui pèse une tonne. Il faut dire que je n'ai jamais vraiment eu l'habitude de la traîner. En général, on s'en occupe pour moi. Dans le hall d'entrée, des gens me toisent mais moi je ne vois qu'une dame d'une cinquantaine d'année, en face de moi, qui visiblement est la réceptionniste ou la secrétaire. Elle est occupée à une tâche puisque ses yeux sont rivés sur un genre de registre. Je ne savais même pas que ce genre de document existait encore.  Je m'approche d'elle, d'un pas décidé:

- Madame Varenne De Beautil, s'il vous plaît !

La dame lève la tête et me toise de haut en bas avec dédain. Bon certes, je ne suis pas à mon avantage mais je porte quand même des vêtements de créateurs. Je retire mes lunettes de soleil et je la fixe du regard.

- Bonjour ! Me crache-t-elle sèchement.

Je penche la tête car je ne comprends pas exactement pourquoi son regard est encore plus dur à mon égard. Une incompréhension se dessine alors sur mon visage.

- On commence par Bonjour, Mademoiselle.

- Oh pardonnez-moi. Je manque de manière. Puis-je voir Madame Varenne De Beautil le plus rapidement possible s'il vous plaît ?

Elle me regarde toujours avec dureté. Ses prunelles grises sont fatiguées. Elle porte un chignon gris qui dégage son visage marqué par les années. Elle devait être proche de la retraite et je comprends que je l'ai bousculé dans sa journée. Elle baisse la tête  et retourne à son activité, en m'ignorant.

- Il n'y a aucune Varenne de Beautil, ici !

- Si, bien sûr que si ! Caroline Varenne De Beautil. Elle est maître de conférence, ici.

- Oh, vous parlez de Caroline Thierry !

Mais oui, suis-je bête, pensais-je. Elle avait forcement changé de nom pour n'être en rien affiliée à cette famille de malheur.

- Oui. C'est ça, Caroline !

Mes lèvres tremblent, je suis à deux doigts d'exploser en sanglots.

La dame me regarde et change de visage. Il s'apaise et elle m'indique le cinquième étage.

Lorsque j'arrive dans le couloir, après avoir monté ces foutus étages, je me rends compte que je ne marche pas mais je cours malgré mon essoufflement. Comme si mon instinct me dictait que je devais le plus rapidement possible la retrouver. Lorsque j'arrive enfin à son bureau, je ne prends même pas la peine de toquer.

Assise à son bureau, Caroline est en grande conversation avec une jeune fille qui doit avoir à peu près mon âge. Visiblement cette fille n'a pas l'air dans son assiette. Lorsqu'elle prend conscience de qui est devant elle, elle retire ses lunettes et un O se forme sur ses lèvres. Je ne prends même pas la peine de m'occuper de l'autre personne. Je balance ma valise et mon sac au sol avant de me diriger droit sur elle où je me jette dans ses bras. Elle demande gênée à la jeune de fille de sortir en s'excusant gravement. Elle m'installe devant elle en me tendant un verre d'eau.

- Louise, ça fait un bail !

Tant que l'océan nous sépareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant