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C'était beau, la vie


C'était beau, les gens, pensait la fille. C'était beau de les voir ainsi vagabonder dans les rues, en famille ou solitaires, avec les rayons du soleil qui éclairaient leur visage. C'était beau de les voir se mélanger, s'entremêler. Ils allaient dans un sens et dans l'autre, parfois déterminés et sûrs de leur objectif, parfois errants, suivant leurs pas hésitants. La fille aimait regarder les gens passer. Elle les trouvait beaux. Leur corps, leurs déplacements, leur visage, leur regard, leurs tics, tout, chez eux, était différent et devait être observé avec soin. Ils marchaient et se mélangeaient au milieu des rues, soudain envahies de personnes. Ils étaient serrés, tentaient de retrouver leur chemin, formaient un ballet infernal qui dansait et virevoltait. Puis ils s'écartaient soudain, la danse se terminait doucement et chacun retrouvait sa route.

C'était drôle, les gens, pensait-elle toujours. Ils avaient des visages fermés, durs, tristes, angoissés. Ils ne profitaient pas. Ils ne savaient pas profiter. Voir leur mine inquiète pour un rien était drôle, parfois. Ce que la fille préférait, c'était les enfants. Ils couraient, ils riaient, ils s'amusaient. Eux, ils savaient profiter de la vie. Ils savaient rire et danser, oublier tout et simplement rire avec la vie. Ils savaient la prendre par la main et l'entraîner avec eux. Profitez, pensait la fille, profitez avant que la vie ne vous entraîne trop vite. Avant que ce soit elle qui ne vous prenne par la main et que vous n'arriverez plus à suivre. Profitez de la vie tant qu'elle est encore là. Et la fille continuait à regarder les enfants, heureux, insouciants, innocents. Ils étaient drôles. La vie, à côté d'eux, semblait drôle. Ce n'était pas souvent qu'on la voyait ainsi.

C'était étrange les gens, pensait cette fois la fille. Elle les observait marcher sans but dans ces rues, et pensait à quel point ils étaient étranges. Ils pensaient avoir compris la vie, avoir des objectifs. Mais à quoi bon ? La vie n'était pas éternelle. Ils voulaient se démarquer, être différents, se faire plaisir, profiter, mais à quoi bon ? La mort serait bientôt là. La mort, quand elle vous tend la main, vous ne pouvez que la saisir et partir marcher avec elle. Dans une promenade sans fin. Les gens étaient étranges. Ils angoissaient de ne pas avoir assez de temps, de ne pas faire ce qu'ils voulaient. Mais un jour, ils ne se rappelleraient même plus la raison de toute cette angoisse. Car ce jour-là, ils ne seraient plus. La mort les aurait emportés. Voilà pourquoi c'était étrange, les gens. À quoi bon exister quand la fin est inéluctable ?

Mais les gens, c'était quand même beau. Cette ignorance les rendait beaux. On aurait dit des enfants, pensait la fille. Face à la mort, c'était tous des enfants. Inquiets pour un rien. Heureux pour tout. Ils étaient beaux dans leur façon d'exister, comme si au bout du chemin, la mort ne les attendait pas. Cette manière de vivre et d'avoir peur. Ils avaient peur de ne pas pouvoir vivre avant la mort. Ils ne voulaient pas juste exister, ils voulaient vivre. La fille les trouvait beaux. C'était beau, l'ignorance. Ils avaient peur de simplement exister, ils voulaient vivre, alors que c'était cette peur qui les en empêchait. La fille sourit. C'était beau, la vie.

Recueil des mots perdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant