Le vague à l'âme.

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Laisser cette maison, c'était laisser une partie de sa vie derrière soit. Passer le pas de la porte, ne plus se retourner, aller de l'avant. Je ne suis pas humain, mais j'ai comme qui dirait des sentiments de nature profonde. Ils tournent essentiellement autour de l'Amour que je ressens pour ma famille car j'ai été créé pour eux.
Les doudous sommes ce qu'on aime appeler « les Âmes étoilées ».
Nous venons du ciel, endroit où Olympe semble guider d'une main de maître tous les éléments essentiels à la Terre. Rien n'est plus simple. Alors je suis un être qui se contente du peu qu'il possède. Je m'émerveille du moindre sentiment, de la moindre émotion qui se dégage de mon corps. Autant la peur me tétaniserait presque... autant la hâte fait monter en moi l'excitation d'un voyage inattendu.

Charlie m'a déjà embarqué en dehors de la grande maison familiale. J'ai participé à tous ses rendez-vous médicaux à tel point que je pourrais dresser la liste de chaque problème de santé qu'elle a contracté. Du rhume en passant par la pire gastro du monde entier, ou encore l'inoubliable opération des dents de sagesse. Mon Dieu, quelle épreuve ce fût. Je ressens encore sa douleur rien qu'à l'évocation de ce souvenir. On a mangé de la glace au café durant des jours, pour que Charlie finissent par repeindre de vomi les murs de la cuisine. Papa fut ravi de nettoyer ce barbouillage couleur bronze. Mais on s'est tenu la main tous les quatre, ensemble quoiqu'il advienne. Dans la joie, comme dans la maladie...

Cette fois c'était différent. J'allais sortir... seul. Je passai la porte d'entrée. Les souvenirs d'une vie entière restèrent sur le palier. Je quittais l'univers de l'enfance de Charlie. Où aller, comment les retrouver?
Et en même temps que la question résonnait dans ma tête, j'entendais le ciel étoilé gronder.
Le vent, silencieux par habitude, m'ébouriffa le pelage. Ce courant d'air est l'ami de tout être qui en exprimerait le besoin. Il vous susurrera les plaintes de l'univers, apportera les bonnes nouvelles ou alors sera même colporteur de ragots. Il chuchote, est partout et sait tout. Il n'est ni bon, ni mauvais... Il est juste. On ne peut pas commander le vent. Mais ce soir, dans ma solitude et mon désespoir, il décidait de m'aider semble-t-il... son souffle caressa mes oreilles, je l'entendis presque me parler distinctement.
La photographie dans ma poche, j'étais prêt. Je partais à la rencontre du monde, sans baluchon. Les étoiles éclairaient ma route... enfin, un chemin boisé.

La maison se trouvait dans les collines d'un village méconnu, nous étions à l'écart de toute effervescence de nos pairs. Ma famille aimait la tranquillité, le calme des bois. Nous étions donc un peu plus dans les hauteurs par rapport au bourg, à la lisière d'une forêt. Il se présentait alors à moi une succession de choix à établir, le premier étant d'aller au village et comprendre ce qu'il s'était passé. Je sentis une brise confirmer ce que je pensais. Je marchais donc en direction des maisonnettes plongées dans le noir complet.
Plus j'avançais plus je sentais ce même poids de tristesse que j'avais éprouvé dans la maison. Tout était éteint, les lampadaires cassés, les rues en vrac. Le village ne représentait qu'un capharnaüm de mauvais souvenirs. Mais surtout, tout était vide d'âme humaine. Pas la moindre étincelle de vie ne ressortait des abris.

J'errais, à la recherche d'indices, quand un bruit assourdissant me paralysa tout entier. Je parcourais une rue pavée de dalles, quand je me mis à courir. Si vite, qu'une pierre plus relevée me fit trébucher lourdement. Je mangeai le sol, à tel point qu'il aurait pu m'arracher ma truffe de coussin. Un écho à l'arrière, il s'approchait.
« Allez, un effort. Relève toi! »
Je me redressai, concentrai tous mes efforts pour fuir ce danger imminent. Il faisait nuit noire, quand j'aperçu une brèche dans une clôture légèrement éclairée par un des derniers lampadaires qui n'avait pas encore rendu l'âme.
Ma réflexion ralentissait ma course jusqu'à ce qu'une détonation siffla et quelque chose de brûlant effleura mon oreille rafistolée. Je glissai alors par l'ouverture qui s'offrait à moi, craignant pour ma vie de petit ourson. Un grognement me confirma alors que j'étais à deux doigts de finir déchiqueté si je ne trouvais pas très vite une échappatoire. Un rassemblement se passait dans mon dos, de l'autre côté de la barrière, pendant que je restais sur place, pris par la peur de découvrir les dangereux individus qui me traquaient.
Un murmure, m'appelant, à travers la trappe d'une cave.
« Pssst. L'Ourson... par là! Dépêche toi!! »
Tant pis, je préférais finir capturé, que broyé par des dents acérés, ou brûlé vif par un feu invisible.
Je poursuivis ma course effrénée, le souffle court, jusqu'à une vitre poussiéreuse qui finit par s'entrouvrir en une demi seconde et par laquelle je me laissai glisser dans le vide profondément obscur.

J'étais étalé sur un sol gelé, dans le noir complet. Pris d'effroi, j'attendais qu'on me saute dessus, qu'on m'empoigne, que cela cesse... ou alors un signal. Le boucan extérieur semblait se poursuivre plus loin dans la ruelle, mais ils ne s'arrêteraient pas de chercher. Peut être que mon « sauveur » était lui même chassé, voire un indésirable numéro un. M'ont-ils pris pour lui? Suis-je finalement en sécurité avec cet être?
En tout cas, j'étais encore en vie et en grande partie grâce à lui.
Mais le silence régnait à présent dans toute la pièce. Pas un bruissement, le néant. Quelle horrible sensation, ressentir tout ce vide alentour. N'aurais-je pas dû attendre sagement que Charlie rentre à la maison...
Un sentiment me poussait, déjà dans la maison, à croire que je me devais de la retrouver, qu'elle était incapable de revenir me chercher. Et après cette première mésaventure je comprenais que notre lieu de vie adoré, notre village d'enfance, avait été piétiné par une malveillance qui planait encore dehors. Je ne sais pas ce qui m'avait poursuivi, mais la monstruosité avait fait surface pour ne plus vouloir quitter notre monde.
En tant qu'être de lumière, je sais qu'il existe aussi des âmes hostiles et immorales, qui viennent d'un endroit innommable. Ces âmes ont parfois été des astres d'Olympe, corrompues par l'humanité. J'aime et admire ce qu'il y a de meilleur en l'Humain, autant que ses pires travers m'effraient parfois...
A cette pensée, je me sens vidé de tout espoir, le vague à l'âme.

« Hey l'Ourson... Relève toi. Par là! »

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 29, 2021 ⏰

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Mon âme étoilée.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant