Textes randoms (OS)

[ OS ] Croix de bois, croix de fer

Du monde, du bruit.

C'étaient bien là les deux seules choses qui l'entouraient.

Et ces deux éléments, l'empêchaient d'avancer.

Petite, elle avait du mal à voir où elle allait dans la foule.

Assourdie, impossible pour elle de se faire entendre lorsqu'elle criait pour demander qu'on la laisse passer.

Mais il le fallait. Elle devait traverser cette masse huante et gonflée de haine et d'adrénaline, à la simple idée de la décapitation à venir.

Le genre humain était vraiment infâme. C'est ce qu'elle songeait... pourtant elle en faisait partie. Peut-être étaient-ce ses capacités supplémentaires qui la rendaient différente.

Évidemment, que ça la rendait différente. Mais il n'y avait pas que ça.

Cet homme, qu'on était déjà en train de traîner vers l'échafaud... n'était pas n'importe qui à ses yeux.

Il n'était pas n'importe qui de manière générale. Mais pour elle... c'était encore différent.

Elle ne voulait pas ça. Elle ne voulait pas qu'il soit exécuté, il ne le serait pas, elle en avait décidé ainsi, alors ça n'arriverait pas.

Si seulement c'était si simple.

Ici, elle n'avait aucun contrôle sur les évènements. Elle était une parfaite étrangère à ce Monde... Pas censée être née, pas censée exister. Et pourtant... elle s'y était adaptée, et les personnes qu'elle avait rencontrées, côtoyées, aussi...

Il était hors de question qu'elle laisse l'une d'entre elles périr.

Un bruit métallique, grave, résonna, suivi du son cinglant d'un coup de fouet. Bondissant immédiatement en avant avec plus encore de vélocité qu'avant, elle tentait d'avancer plus vite. L'assemblée était si dense, si tendue qu'elle peinait terriblement à progresser. L'angoisse qui l'habitait la rongeait un peu plus à chaque pas.

Et si elle n'arrivait pas à temps...?

Non... Non, cela lui était inconcevable. elle allait y arriver. Il le fallait...

Un éclat lumineux l'empêcha de croire plus longtemps en cet espoir.

Le soleil se reflétait sur la terrifiante lame de la hache levée vers le ciel. La foule s'agitait encore plus, frémissante d'excitation, mais la peur et rage au ventre, la maigre demoiselle parvint enfin à s'avancer au premier rang de la foule.

Cependant, un homme la retint d'un bras autour de son ventre, pour l'empêcher de quitter la masse de sadiques dont elle venait de s'extirper. Elle eût beau se débattre comme une lionne, hurler elle aussi, mais pour réclamer qu'on la lâche, elle ne put atteindre l'échafaud.

La sentence, et la lame de la hache, tombèrent, faisant résonner un bruit de métal tranché, fendu. La foule scanda le nom du condamné, et la jeune dame aussi, mais une unique fois, les yeux noyés de larmes. Elle vit la tête de l'homme qui l'avait gentiment accueillie à ses côtés rouler jusqu'à s'arrêter face à elle, le regard vide. Elle hurlait d'horreur, tandis qu'on la repoussait en arrière, toute la place étant rapidement évacuée, chacun reprenant le cours de sa vie comme si de rien n'était. Ce terrible spectacle n'avait choqué qu'une âme.

Alors que les lieux étaient vidés de leur public, la petite femme tremblante trompa la vigilance des gardes. Elle ne baisserait pas les bras si facilement, pas avant d'avoir tout tenté, et puis quoiqu'il en soit, elle ne laisserait pas ces êtres sans cœur disposer du corps de leur victime. Atteignant enfin l'estrade sans encombres, elle prit la tête du décapité dans ses bras, la serrant tendrement contre sa poitrine, et son corps sur son dos. Porter cet homme devant probablement faire deux fois son poids aurait dû lui être difficile, mais étrangement, elle n'eût aucun mal à se redresser, et à quitter la place en se faisant infiniment discrète.

Il lui fallut ensuite rejoindre le bâtiment abandonné où elle avait secrètement installé son petit atelier, même l'exécuté qu'elle voulait essayer de sauver n'en avait jamais entendu parler. Installant tête et corps sur une table branlante, elle eût besoin d'une journée complète pour trouver ce qu'elle pourrait faire, et surtout, définir son mode opératoire pour cela, presque littéralement.

Ce fut après cela l'affaire de plusieurs jours, longs jours, qui lui semblèrent interminables. Elle ne ferma pas l'oeil une seule fois, elle ne voulait pas se le permettre, il était sa priorité. Lorsqu'il aurait retrouvé la vie, alors elle pourrait s'octroyer le luxe de se reposer.

Mais pas avant.

Après avoir épuisé ses ressources en biomécanique sur la dépouille, désormais glaciale, de son proche, elle s'arrêta, enfin, se reculant un peu en observant ce qu'elle avait accompli. Pour sûr, elle avait au moins recollé les morceaux, mais pas que... Tout son travail pour rendre le corps qui était recherché depuis l'exécution dernièrement... ne pouvait pas être en vain, n'est-ce pas...?

Elle attendit, donc. Une minute. Trente minutes. Une heure. Deux... Cinq.

Toujours rien.

Elle n'avait pas de plan B en tête, elle avait fait, vraiment, tout ce qu'elle avait pu. Ses joues se trouvèrent inondées de larmes, lorsqu'elle craqua finalement. Il n'y avait plus rien à faire pour lui, elle s'était démenée en vain...

Ça y était, il était mort.

Elle s'effondra, tombant à genoux à côté de la table au-dessus de laquelle elle avait passé tant de temps penchée, ces derniers temps. Lorsqu'elle se laissa mollement vasciller en arrière, à bout de forces, elle ferma les yeux, attendant raisonnablement que son crâne heurte les gravas recouvrant le sol à cet endroit.

À quoi bon, maintenant.

Mais ce moment ne vint jamais.

Intriguée, elle ouvrit les yeux. Le choc avait-il été si fort qu'elle en était morte sur le coup, sans le sentir passer...?

S'attendant à être éblouie par les lumières de l'au-delà, elle fut surprise, puisqu'il n'en fut rien. Au lieu de ça, une douce ombre la couvrait. Une douce silhouette la couvait d'un regard reconnaissant. Une main tenait son dos, l'autre, avait été glissée derrière sa tête. Elle était glacée, et terriblement lisse.

"Quand je disais que tu étais une tête... Je ne pensais tout de même pas avoir raison à ce point. Tu as permis un véritable miracle... Merci."