#1 Sous le ciel de Saint-Guilhem

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"Sous le ciel de Paris s'envole une chanson, hmm, hmm...
Elle est née d'aujourd'hui dans le coeur d'un garçon
Sous le ciel de Paris marchent des amoureux, hmm, hmm...
Leur bonheur se construit sur un air fait pour eux"

La fréquence à laquelle j'avais cette chanson en tête était effrayante. Un de mes collègues, Gaël, l'avait tout le temps à la bouche, c'était presque s'il ne nous la chantait pas même dans son sommeil. Ah... Le sommeil... J'avais bien du mal à me souvenir de ce que c'était. Ces trois jours de permission allaient me faire du bien.

Paris... "Paris la nécropole, Paris qui sent la carne, Paris qui petit à petit entraîne dans sa chute des fragments de nos vies", comme diraient ces artistes plus récents, Fauve. Rien à voir avec l'élégance et la légèreté de cette chanson de 51 que je n'arrivais plus à me sortir de la tête. Mais malheureusement, bien plus vraie de nos jours... C'est pour ça que même si j'avais passé presque toute mon enfance et adolescence dans la capitale, il était hors de question que j'y passe ma permission. Je voulais du repos... et ce n'était pas là-bas que je le trouverais.

Au lieu de ça, j'avais décidé de retourner là où je suis né. Un petit coin rural à souhait, Saint-Guilhem-le-Désert... Le nom veut tout dire. On a quitté ce village, mon père et moi, quand j'avais 10 ans, et je n'en ai pas été mécontent ! Là-bas, à part des "p'tits vieux", comme je les appelais, qui passaient leurs journées assis sur les bancs dans les rues, où à la terrasse du seul bar de notre coin, il n'y avait rien. Mon père, facteur à cette époque, ne mettait pas plus de trois quarts d'heure pour faire sa distribution du courrier. Alors parfois, quand j'étais en vacances ou que mon père m'autorisait à faire l'école buissonnière, je partais avec mon père pour la tournée. Mais mis à part ça, rien de bien palpitant...

Alors, pour cette même raison, m'y revoilà. Le bus sera bientôt arrivé... Ça va me faire tout drôle d'y séjourner de nouveau. Rien à voir avec la vie que j'avais à Paris, avant de m'engager en tous cas... J'étais un vrai bringueur. J'ai fait mes années collège et lycée là-bas, et puis j'ai essayé le commerce, complètement au hasard... L'école qui avait bien voulu de moi ne m'a pas vu plus d'un mois. J'ai très vite décroché, et à la place, j'ai pris un petit boulot, du secrétariat de très bas étage, histoire de pas finir sur la paille. J'ai eu une période punk, où j'ai fini avec un mohawk, des mèches roses, un septum, des piercings dans les joues et les yeux maquillés... Et avec tout ça, après le boulot, au moins une fois par semaine, je faisais la tournée des bars avec mes potes d'école de commerce. Je me souviens... Ils s'amusaient à amener des petits bobos coincés qui, eux, savaient très bien ce qu'ils faisaient dans cette école... et nous, "les déserteurs" comme on avait été renommés, notre boulot c'était de les débourrer... Ironique, ce mot, sachant qu'ils finissaient toujours torchés.

Ha... C'était le bon temps. Maintenant... J'avais grandi, mûri surtout, et même si je devais bien avoué que mon mohawk mêché de rose me manquait un peu, j'étais très satisfait de ma situation actuelle. Même si c'était très éprouvant, autant pour le corps que pour l'esprit, je ne regrettais pas le moins de monde d'avoir rejoint l'armée de terre. J'avais commencé dans des bureaux, fini artilleur... Belle avancée. Maintenant, j'avais un objectif, dans ma vie : celui de ma vie professionnelle. Protéger autrui, et protéger ma patrie. Et depuis 17 mois déjà, j'étais au Mali, en plein épicentre des conflits... "Très éprouvant", que je disais ? C'est un euphémisme.

Un couinement lugubre provenant des freins du bus me sortit de mes pensées, m'indiquant que le véhicule venait de s'arrêter. Sans surprise, Saint-Guilhem était son terminus, et j'étais le seul passager restant. Je mis pied à terre en remerciant le chauffeur, qui ne demanda pas son reste. J'étais épuisé, mais désormais, j'avais trois jours complets pour me reposer, et me vider, tout du moins m'alléger l'esprit. Et je sentais déjà que, pour le meilleur ou pour le pire, ça ne serait pas chose aisée.

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