Seringat

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Première partie - L'attente

Je me sens de parler avec sincérité. Comme si, jusque là, je n'avais jamais vraiment pensé. Jamais senti, jamais vu, aveugle de toute chose, croyant savoir qui j'étais. Ce désir instantané court le long de mes doigts, remonte jusqu'à mes épaules, couvre ce qu'il me reste de dignité. Et si je reste encore debout, prostrée dans une honte presque maladive, c'est que je crois enfin détenir une vérité dont je n'ai jamais voulu. Je me vois, immobile dans ce cimetière face à un ressuscité, transie de froid et de terreur devant tout ce vert. Des champs et des champs à perte de vue dans ce regard superbe. Ce qui me frappe davantage que l'improbable de cette situation, c'est bien cette sincérité. Il me semble que le mensonge n'aurait ici pas plus d'utilité que ma vaine tentative de raisonner. 

La magie existe. 

Le chagrin existe. 

Et moi, Dahlia Dufresne, je n'existe pas. 

À quelques mètres de moi, une main a surgi de terre. Et puis un bras, une épaule, une tête, le reste d'un corps censé être décharné voire squelettique, mais simplement magnifique. Et lorsque, d'un geste, il retire un amas de lichens sur ses joues, je vois là la création d'un excellent horticulteur.

Un soir d'hiver, au beau milieu d'un cimetière, une fleur vient de sortir de terre. 

Et je suis entrain de m'évanouir.

. . .

Une tête aux cheveux poivre et sel hérissés surgit, le professeur assurant le cours de littérature du Moyen-âge se racle la gorge sur l'estrade - sa manière d'exiger la fin des bavardages résonnant trop fort dans l'amphithéâtre. Il ouvre son livre sur une page cornée et annotée, parcourant la salle des yeux. Parmi la foule, la moitié des présents baisse la tête, détourne le regard, gribouille des mots illisibles sur leur carnet. La fille seule au fond de la salle dessinant des ornements fleuris dans les marges de son cahier en priant le ciel de ne pas se faire interroger, c'est bien moi. Je m'enfonce dans ma chaise, les épaules misérablement voûtées. Il ignore les mains d'habitués qui se lèvent et désigne celle qui n'a toujours pas acheté le livre étudié.

- Dahlia, voulez-vous bien lire ce passage ?

Je me redresse, feignant la désinvolture.

- C'est que... j'ai oublié mon livre chez moi.

- Bon... souffle t-il. Demandez à votre voisin de vous prêter le sien alors.

Un brun chétif au longs cheveux attachés en chignon me passe Philomena, traduction et réécritures d'un poète tout droit venu d'une époque perdue, que l'on persiste pourtant à faire revivre à travers d'innombrables interprétations et analyses. Je m'éclaircis discrètement la gorge et commence une lecture brouillon et timide qui enflamme mes joues et me détruit de l'intérieur. Je pourrais bien supporter le poids de la médiocrité si elle n'était accompagnée d'un redoutable embarras. Je m'enracine dans ma chaise, croyant sentir sur moi les regards accusateurs de lettrés bien meilleurs que moi. Et lorsque je pense finir ce combat contre les mots, il me demande :

- Pourriez-vous faire une remarque sur ce passage ?

Je pourrais lui faire remarquer que me demander de lire ce paragraphe était plus que suffisant, mais je me contente de relire en diagonale tout en plissant les yeux.

- Mmh.... mmh ?

- Ce n'est pas une réponse.

- Dîtes le à mon psy.

Les Fleurs SolitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant