Les Fleurs Solitaires

Fait de roses et de lilas - partie 2

Une fine pluie transforme la terre en boue, je reprends conscience le visage trempé et la joue collée contre un tapis d'herbes et de pâquerettes. Je ne me lève pas tout de suite, prenant le temps de comprendre dans quelle position mon corps se trouve. J'ai terriblement froid, mon estomac hurle de faim, mes vêtements sont maculés de terre mouillée et mes cheveux collent à mon front. Je suis absolument misérable. C'est sans doute une très grande lassitude physique qui m'empêche de sursauter lorsque j'aperçois mon cher revenant, assit en tailleur, me fixant sans cligner des yeux. Je ne trouve ni la force d'avoir peur, ni celle de me traîner plus loin. Une once d'appréhension m'encourage à l'observer, à trouver chez lui une quelconque trace de danger. C'est peut-être le caractère surréaliste de cette situation qui guide mon jugement, il ne semble pas pouvoir faire de mal à une mouche. Et si je suis dans un état pitoyable, cet être surnaturel l'est davantage.

- Est-ce moi qui vous ai... ramené à la vie ?

Un haussement de sourcils agrandissent ses yeux déjà immenses, la surprise déformant son visage jusque là neutre le rend humain. Humain... l'est-il seulement ? Je fixe mes doigts sales, comme si cette créature ne cessant de me dévisager est de mon fait, que je l'avais façonné et que, d'un instant à l'autre, il m'obéirait comme un automate obéirait à sa créatrice. Et soudain je me rappelle les mots de Louis : "Tu es la plus grande nécromancienne." L'ai-je donc réellement ressuscité ?

- Vous ne parlez donc pas ?

Il penche la tête d'un côté et fronce légèrement les sourcils, visiblement perplexe. Je ne saurais expliquer l'immense sourire venu se loger sur ses lèvres après l'interminable réflexion dans laquelle il semblait être plongé. Le ressuscité observe mon visage puis mon corps d'un air curieux totalement dépourvue de lubricité. Son regard dérive ensuite vers ses mains boueuses, ses bras, son torse, ses doigts parcourent le tissu de sa chemise, remontent vers ses épaules. Il redécouvre la vie avec l'entrain d'un nouveau-né et je le dévisage, stupéfaite.

- Et que dois-je faire de vous, maintenant ?

La pluie redoublant, tout devient une mare infâme et odorante. Le mort-vivant, toujours assis, lève un sourcil de surprise. Ses épaules se tendent et sa tête s'abaisse comme un petit animal terrifié par les pleurs d'un ciel nocturne. Doucement, seulement, il ouvre grand ses mains et regarde tour à tour le dos et la paume ruisselant d'eau. Je ne saurais dire, exactement, l'impression que cet homme me donne. Il renverse sa tête en arrière, ébahis. C'est un enfant, un estropié capable de marcher, un exilé enfin libéré. Quelle déclaration offre son regard au ciel ? De l'air lourd et humide à la terre collante, il semble tout savourer. Et moi, que puis-je dire ? Un homme sans vie ayant sauvé la mienne semble goûter la pluie pour la première fois, je tressaille. Plus loin, j'aperçois le couteau volé et j'en ai un haut-le-cœur. J'ai failli terminer une vie déjà écorchée par un suicide dans un cimetière. Aurais-je seulement pu enfoncer la lame dans le cœur si ce gentilhomme déjà mort n'était pas apparu ?

Je ne sais plus ce que je veux faire.

Du couteau échoué au ressuscité, mon regard parcourt une infinité de possibilités.

Il me faut un effort surhumain pour me lever et me diriger vers la tombe d'où est sortie cette fleur sibylline. Je ne remarque que quelques instants plus tard que l'énorme trou dans lequel s'effondre la boue n'abrite aucun cercueil. Sur le sol, aucune trace de morceaux de bois que Mr. Revenant aurait fait exploser afin de s'extraire de son tombeau. Aucune pierre tombale, le seul moyen de découvrir son identité glisse sous mes doigts. La chemise et le pantalon simple qu'il porte semblent modernes mais, étoilés de saleté, je ne parviens à déceler aucun autre détail. Mr. Revenant se transforme en Mr. Personne, étranger tiré de la mort par un pouvoir dont je ne me savais pas capable. Je peine à réaliser l'état dans lequel je me trouve.