Chapitre 1

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Chapitre 1

Comme un vent d'adieu

Dans le ciel, rien d'engageant. Son gris comme l'annonce de la pluie ne procure dans les yeux de Zack qu'une déjà trop grande lassitude. C'est pourtant 5h30 du matin. Curieusement, à une heure où il devrait encore faire nuit.

C'est un grand jour pour cet ado de seize ans qui vit dans l'internat de Mountain Glover, entouré d’un bois quasi sans limite. Un internat peuplé de deux cents filles et garçons, séparés par l'étage des professeurs, dont Miss Aloïs est la cheftaine. D'une rigueur absolue dans son rapport à l'enseignement, elle n'est pas pour autant dénuée d'un sens de l'humour acerbe ni d'un sixième sens qui lui fait comprendre qu'il va se passer quelque chose d'extraordinaire. Un évènement qu'elle ne contrera pas.

5h35, Zack est toujours dans le coltard. C'est difficile de se lever quand on a passé toute la nuit à rêver à l'extérieur, à ce décor forcément différent de celui se trouvant dans l'enceinte du bâtiment. Pas très difficile d'ailleurs d'imaginer un monde différent, vu que le décor interne est aussi rustique que mortel. À part quelques carrés de verdure sculptés au cordeau, de ces trois miséreuses fontaines fonctionnant même par moins douze, il est en effet tentant de passer par-dessus le mur.

Dans l'immense salle d'eau, Zack est rejoint par son meilleur ami.

Kan est un garçon taciturne, fort mélancolique et très à cheval sur les principes. C'est curieusement la petite peste que l'on aimerait étrangler, sauf chez Zack qui n'a de cesse de penser qu'en chacun de nous il y a une partie gentille. C'est certes une approche simpliste, mais reconnaissons à ce roux de Zack son goût pour la bonté.

Alors que Zack s'abandonne à sa toilette devant un miroir piqué par deux siècles d'histoire, Kan se rapproche de lui, par derrière. Son œil est noir de colère. C'est surtout qu'il est fort malheureux. Il sait qu'il va perdre son seul allié dans cet univers qui lui a toujours été hostile.

- Alors c'est pour aujourd'hui, soupire Kan.

- Ne m'en veux-pas, répond Zack en passant à l'eau son visage encore fripé de la fatigue.

- Si je t'en veux !

- S'il te plaît, ne crie pas.

- T'es vraiment lâche, Zack.

- Je te l'ai déjà dit, il est toujours temps de venir avec moi.

- Et pour aller où ! On n'a pas de fric, on ne connaît rien de l'extérieur.

Zack laisse s'essouffler Kan, puis sort de sa poche une maigre liasse de billets. Kan n'en revient pas. Jamais on ne leur a permis de posséder un seul penny. En effet, à quoi servirait-il dans un lieu où l'on reste enfermé depuis son enfance, depuis que leurs propres parents les ont abandonnés ? Curieusement, Kan ne cherche pas à savoir d'où provient cet argent. Il préfère crier :

- J'en veux, moi aussi !

Zack le regarde alors, lui sourit, puis lui tend la liasse. "Tiens, prends-les", murmure-t-il à son ami. Troublé, Kan ne sait plus comment faire. Il hésite. Autant de billets, il sait ce que cela représente tout comme il se doute bien que ça ne lui assurera que quelques mois de survie. Et pour un froussard, c'est déjà beaucoup trop flippant de s'imaginer vivre dans la rue. Néanmoins, Zack enfonce sa liasse dans la poche de Kan, puis disparait par une petite porte, son sac à dos sur les épaules.

Bien qu'il fasse jour, il traverse le grand parc sans être inquiété. À l'internat, on a pris depuis longtemps l'habitude de le voir faire le tour, son sac avec lui, comme s'il partait en excursion. Évidemment, il revenait tout le temps. Sauf que cette fois-ci...

À l'approche d'un portail étroit et pas très haut, une main accroche l'épaule de Zack. C'est Miss Aloïs. Les yeux brouillés par les larmes, elle se ressaisit, puis l'embrasse sur la joue. Son air sévère devient alors celui d'une femme à la fois remplit de joie et de tristesse. C'est elle qui s'est occupée de ce gosse depuis son arrivée, à six ans ; elle qui la élevé ; elle qui lui a fait apprécier la nature, les avantages du monde, sa beauté, mais aussi sa cruauté. Bien plus qu'une mère, elle aura été pour lui un ange gardien quand dans ses nuits noires il pensait que le monde n'avait pas plus d'intérêt qu'un cimetière.

- Alors c'est sérieux, sourit-elle.

- Je dois y aller, Miss Aloïs.

- Tu m'écriras ?

- Non, soupire-t-il.

- Montre-moi ton argent ! dit-elle sur un ton sévère. Je veux vérifier que tu l'as bien pris.

- Il est au fond du sac, rougit-il.

- Ce n'est pas grave. J'ai tout le temps. Allez, montre, insiste-t-elle avec sa voix sévère.

Zack vacille sur ses deux jambes malingres. Elle s'approche de lui, saisit son sac, puis le fouille. Sa nervosité est égale à sa colère. Cependant, elle se retient de lui gueuler dessus. Elle sait trop les dangers qu'il va rencontrer pour lui rajouter cette tension inutile. Elle remet le sac sur les épaules de Zack, puis sort de sa poche une autre liasse. Zack la refuse.

- Ce n'est pas un prêt, mon garçon. 

- Mais c'est trop ! 

- Rien ne l'est en matière d'argent pour un jeune homme qui va connaître les cœurs des hommes. Allez, va, que je n'ai pas à regretter mon geste. Je me sens déjà si coupable...

- Mais vous ne devriez pas, Miss Aloïs...

- Ttttt ! Ne dis pas de sottises. Toi et moi, nous savons très bien que c'est la dernière fois...

Mais Miss Aloïs ne peut finir sa phrase. Elle fuit en courant vers l'immense bâtiment, tandis que Zack franchit la petite porte en bois.

Dehors, c’est…

Celui qu'on embrasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant