Chapitre 2
Dehors, c’est…
C’est un automne étrange, une lumière singulière qui enlumine ses yeux.
Pour le jeune fuyard qu’est Zack, ce n’est ni les regrets ni les remords qui l’assomment, mais cet air enivrant, jamais ressenti auparavant. Cette fierté aussi d’avoir franchi cette porte, d’avoir laissé derrière lui l’orphelinat.
Désormais, un monde nouveau l’attend, un monde tout court. Un univers qu’il s’est déjà imaginé selon les informations reçues durant son éducation, archi contrôlée, archi aseptisée. Non pas qu’on veuille protéger ces orphelins des maux de leur propre espèce, mais pour ne pas leur donner l’envie de trop goûter à la liberté, qui selon les enseignants de Mountain Glover, risquerait d’en faire leurs ennemis.
Au fur et à mesure que Zack s’enfonce dans la forêt, celle-ci devient inquiétante. Notamment en raison de cette brume épaisse qui semble naître sous ses pas, comme si elle avait attendu son passage pour sortir de terre.
Zack marque le pas d’une façon rapide. Ici, le jour ne dure qu’un petit temps. Tout juste quelques heures.
Enfin, une clairière apparait à l’horizon. C’est un vaste champ d’herbe haute, couchée par un vent vigoureux. De l’autre côté, un corps de ferme rayonne avec son ombre géante qu’un soleil retrouvé permet. Face à lui, trois chemins.
Celui de gauche est une ligne courbe qui défie les lois de l’entendement. À voir ses trous, Zack n’est pas loin de penser qu’il a servi de piège à une armée secrète. D’emblée, il exclut donc de le prendre. Il reste donc les deux autres. Il tourne la tête vers celui de droite. Il ne sait pas pourquoi, mais il n’ose pas regarder celui du milieu. Quelque chose lui fait peur. Une espèce de piquet filiforme qui reste droit malgré le vent tempétueux. Le chemin de droite borde la lisière du bois. Zack le trouve un peu trop calme. Néanmoins, il s’avance, s’y enfonce de quelques mètres, puis s’arrête. Là aussi, un sentiment extraordinaire le saisit immédiatement. Zack est abasourdi par la plénitude qui règne sur cette ligne de terre caillassée à certains endroits. Aucun vent. Aucun son. Pas le moindre agissement de branches. Même ses cheveux restent figés.
De retour au petit rond-point, Zack se tâte de savoir s’il doit essayer celui du milieu. Une réflexion qui somme toute ne tarde pas à se transformer en essai, vu qu’il ne reste que celui-là. Sinon, c’est retour en arrière. Et ça, c’est hors de question !
Dès les premiers mètres, Zack découvre qu’un orage le menace. Et seulement lui. Aussi, il précipite ses pas. Sur le point de recevoir des trombes d’eau, il atteint le fameux piquet. À cet instant, et comme par magie, les nuages disparaissent, laissant place à un soleil qui rayonne abondamment sur lui et… elle.
Le piquet s’appelle en réalité Anaïs. C’est une jolie blonde au visage hâlé, aux mains rugueuses malgré sa quinzaine, et dont les yeux sont en train de dévorer Zack. Durant les premières minutes, ils se sourient. Rien d’autre. Ni mot de bienvenue ni questionnement du genre où l’on est ?
De la poche de sa veste dont les lisérés sont recouverts par des plumes de faisan doré, Anaïs sort une pomme qu’elle présente à Zack. Il regarde le fruit, puis il dit : « C’est vraiment très gentil ». Comme il se sent idiot, il rajoute. « C’est très joli, ici ». Hélas, toujours le même effet de vide. Alors, il cherche un sujet qui pourrait le faire passer pour un garçon intéressant. Après avoir exploré de visu les alentours, il dit « y-a-t-il eu la guerre ? »
Anaïs se met à rire aux éclats, lui prend la main, puis l’entraîne dans une course effrénée jusqu’à une immense grange tout en bois recouvert d’une peinture rouge brique. Zack, quoique ravi de faire une rencontre, ne sait pas comment réagir. Anaïs est si étrange.
La grange est d’une hauteur impressionnante, grâce à laquelle Zack peut réaliser à quel point il a parcouru de très nombreux kilomètres depuis son départ de Mountain Glover. À ce titre, d’ailleurs, on se demande bien ce qui a pu faire qu’on appelle son orphelinat ainsi, vu que tout est plat, entièrement plat. Excepté bien entendu le relief des cimes des arbres qui forment cette impressionnante canopée.
Anaïs lui présente une autre pomme. Zack hésite, trouve l’offrande très généreuse, puis la décline poliment. Pour le moment, il voudrait entrer en conversation avec son hôte.
Il dit :
- Je suis désolé, mais je ne crois pas avoir entendu ton prénom.
- Anaïs, répond-t-elle timidement.
- Moi, c’est Zack, dit-il en tendant sa main qu’elle saisit mollement.
À ce stade de la conversation, Zack est désemparé. Si Anaïs est gentille, elle reste très difficile d’accès. Il a même le pressentiment que si un mot est mal employé, elle va se briser comme du verre. Néanmoins, son intuition prend vite la forme d’une idée stupide, puisque Anaïs vient de l’embrasser furtivement sur la bouche.
Zack n’en revient pas. Jusqu’à présent, et en raison de l’endroit où il vivait, de l’austérité dans laquelle on l’avait maintenu loin des pensionnaires de la gent féminine, il n’avait jamais eu l’occasion de connaître un sentiment intimiste aussi partagé que celui-ci.
Tout compte fait, Zack réclama la deuxième pomme. Après un baiser aussi fou, comment en effet ne pas avoir faim !
Anaïs devint plus engageante, comme si grâce à ce baiser elle était parvenue à entrer dans l’esprit du jeune garçon.
- Je suis désolée de t’avoir effrayé, tout à l’heure, dit-elle avec une voix plus claire.
- Non, c’est moi. Je suis rentré chez vous…
- Chez nous ? Tu veux dire sur nos terres ?
- Oui, elles sont bien à vous, n’est-ce pas ?
- Hélas, non. Papa en est seulement le locataire. Tout ce que tu vois là appartient au consortium à qui appartient aussi l’orphelinat d’où tu viens.
- Comment tu sais ? il bégaie.
- Il n’y a que des garçons de chez eux pour traverser cette maudite forêt. D’ailleurs, tu as eu beaucoup de chance.
- Tu en as connu d’autres, des fuyards ?
- Moi, non. Mais ma sœur Naomi, deux, ou bien trois, je crois.
Soudain, Zack s’assombrit. D’apprendre qu’il n’était pas le premier à s’enfuir de Mountain Glover ne lui plait pas. Il a l’impression d’avoir brutalement chuté dans l’estime d’Anaïs. Ce qui est bien évidemment faux. Car voilà une fille qui n’est pas du genre à se laisser blaser par de telles considérations futiles. D’autant que pour elle aussi, c’est sa première fois. Et rien que pour ça, elle en est très heureuse. Tout comme elle le fut lorsqu’elle le vit sortir par le portail, juste avant de le suivre discrètement dans le bois. Comme si elle avait eu le pressentiment que cette fois-ci, c’était le bon jour, la bonne heure pour aller à la rencontre de ces garçons que l’on dit si intrigants.
Anaïs distille par parcimonie des informations sur la vie urbaine que Zack souhaite connaître. De voir ces grands ensembles dont les sommets déchirent le ciel l’émoustille.
Alors qu’elle veut lui confier un secret, une voix de femme, très grave, les interrompt.
Noami, la sœur, vient de les rejoindre. Dans ses yeux, il y a une profonde colère, un bleu glacial qui finit par faire bafouiller Zack, qui toujours aussi souriant et poli, croit bien faire en cherchant des excuses.
Quelques minutes plus tard, Zack est invité à faire la connaissance du père de famille.
Cette fois-ci, il en est sûr, plus rien ne sera comme avant…
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Celui qu'on embrasse
FantasyOrphelin de seize ans, Zack n'a ni ennemi ni ami, jusqu'au jour où il entreprend de fuguer de l'orphelinat de Moutain Glover, situé en pleine forêt, avec l'idée de faire sa place dans un monde qu'il va découvrir pour la première fois, sans comprendr...