…Plus rien ne sera en effet comme avant.
La nuit vient de s’abattre sur la ferme. Pendant que le père guide Zack dans la cuisine, les deux sœurs sont invitées par le frère à regagner leur chambre. Jay Monroo ne prend aucun gant avec l’invité de sa plus jeune fille. Ses mouvements sont aussi raides que son esprit. Pour cet homme d’à peine quarante ans, qui en parait quinze de plus, Zack n’est pas une bonne surprise. S’il s’est mis à faire soudainement cet orage, c’est de sa faute ; si la grêle est tombée avec une extraordinaire violence, c’est de sa faute ; si son dernier veau vient de trépasser, c’est encore de sa faute. Et si demain… Bref, quoiqu’il dira pour sa défense, quoi qu’il fera, tout malheur lui sera porté à son crédit.
Sans ménagement, Jay Monroo le fait asseoir en bout de table. Coincé entre le frigo et deux gros éviers, le mauvais œil, comme on l’appelle déjà chez les Monroo, ne pourra ainsi pas s’envoler avant l’arrivée de la police du Comté. Car non content d’avoir trouvé le tueur de son veau, le père est certain d’avoir face à lui l’empoisonneur des dernières récoltes. « Et ça, ça vaut tous les crimes ! », hurle ce salopard de Jay Monroo au visage d’un Zack qui n’exprime absolument rien, sinon un doux regard. Ce qui a le don d’énerver la mère qui l’invite à essuyer ses mains avec un torchon sale, qu’elle lui jette au visage. « J’aurais pensé qu’à Mountain Glover, on en faisait des hommes. Pas des animaux ! », beugle-t-elle à son mari. « Alors là, faut pas rêver », lui répond-t-il aussitôt.
Dans sa chambre, Anaïs a bien du mal à dissimuler sa haine contre son père. Elle le voudrait pendu à un arbre, la tête trouée par les becs des vautours, électrifié par son propre système d’alarme, sinon le cœur explosé sous une balle perdue. Évidemment, Naomi n’est pas aussi catégorique. Pour la grande sœur, une douche un tantinet trop chaude suffira à lui faire attraper une crise cardiaque. Assis sur une chaise, à califourchon, leur grand frère les regarde en riant jaune. Pour lui, au contraire, ce sont elles que l’on devrait passer à la chaux. Bien entendu, il préfèrerait qu’elles se marient avec un de ses vieux voisins célibataires, réputés autant pour leurs vices que pour leur sang remplacé par de l’alcool, qui en plus de mâter ces deux petites garces apporteraient, via de jolies noces, des hectares de terres à la famille Monroo.
- C’est ça, rêve toujours, marmonne Anaïs.
- Oh, toi, hurle-t-il.
Il s’approche de sa sœur, s’apprête à la gifler, quand la main de Naomi le stoppe dans son élan.
- À ta place, je ne ferais pas ça, dit la grande sœur avec un air doux dans le regard.
- Lâche ma main, gémit-il.
- Si tu veux la punir, laisse-la partir avec ce branleur.
Le frère n’en revient pas. Voilà que sa sœur se met de son côté. Il prend un air soupçonneux, masse son poignet, fixe Anaïs comme s’il avait le pouvoir de l’étrangler à distance, puis répond :
- Et j’y gagnerai quoi, moi ?
- Plus de richesse, soupire Naomi. Et puis, pense à l’héritage. Une part de moins, c’est…
- Et toi ? dit-il sur un ton sec.
- De la tranquillité, répond Naomi avec aplomb.
- Je ne savais pas qu’elle te faisait chier à ce point.
- C’est ce que tout le monde croit. Mais entre nous, ça n’a jamais collé. Depuis qu’elle est arrivée en ce bas monde, j’ai l’impression de bouffer de la merde, de vivre dans la merde, de m’habiller avec de la merde. T’as jamais remarqué que tout ce qu’elle touche, ça se transforme en merde ? grimace-t-elle.
VOUS LISEZ
Celui qu'on embrasse
FantasyOrphelin de seize ans, Zack n'a ni ennemi ni ami, jusqu'au jour où il entreprend de fuguer de l'orphelinat de Moutain Glover, situé en pleine forêt, avec l'idée de faire sa place dans un monde qu'il va découvrir pour la première fois, sans comprendr...