Chapitre 2

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Ma montre indique 1H24 du matin et je n'arrive toujours pas à dormir. Pourtant après avoir passé toute la journée à nager dans la piscine, je devrais être épuisé ou au moins détendu. Au lieu de ça mon esprit est braqué sur le souvenir du puits. Je me sens stupide d'imaginer possible une telle affabulation mais...et s'il y avait la moindre chance que ça marche? Au pire je n'y perdrais qu'une petite pièce de monnaie, mais au mieux j'ai tout à y gagner. De toutes façons je connais ma curiosité par cœur, elle ne me laissera pas tranquille avant d'avoir obtenu une réponse. J'ai donc le choix entre passer une nuit blanche à scruter le plafond tout en me posant des questions ou bien couper court au suspense et me prouver à moi même le ridicule de ma crédulité.
Mais avant de tenter quoi que ce soit, je décide de tendre l'oreille. Puisque je m'apprête à faire une bêtise, autant prendre le moindre de risques possible. Dans le mobile home c'est le silence qui règne en maître absolu et le seul bruit audible c'est la respiration régulière d'Abbygail. D'ailleurs elle ne dort pas, elle est simplement blottie contre moi en essayant de comprendre pourquoi moi non plus je dors pas. Alors je me redresse le plus furtivement possible, je pose délicatement mes pieds contre le sol et je m'habille dans le noir comme un ninja. Abby aussi s'est relevée et par les mouvement saccadés de sa queue, elle m'exprime à la fois son incompréhension et le fait que, où que je puisse aller, elle veut être de la partie. Alors après une très courte réflexion, je décide d'accepter sa requête, et cela pour plusieurs raisons. Déjà parce que je ne peux absolument rien refuser à mon chien lorsqu'elle me lance son regard malicieux, ensuite parce que son agitation pourrait risquer de réveiller mes parents et enfin parce qu'elle peut me servir d'alibi. Si jamais mes parents venaient à découvrir ma petite virée nocturne, je n'aurai qu'à prétexter que le toutou avait envie de sortir.
Lorsque je m'étais mis au lit, sur les coups de 23h, j'avais hésité entre laisser ma fenêtre ouverte pour que ne pas qu'il fasse trop chaud dans ma chambre, ou bien la garder fermée pour empêcher les moustiques de rentrer. Par chance j'avais opté pour le premier choix avec un supplément de spray à la citronnelle et cela m'évitait à présent de faire du bruit en la faisant coulisser. J'agrippe donc mon fidèle westie pour la placer sous mon bras, tandis que de ma deuxième main je fais pivoter mon corps par dessus l'ouverture pour atterrir en souplesse le long du mur de la chambre.
Malgré la nuit tombée je n'ai aucun mal à déambuler dans le camping, l'éclairage restant allumé afin de permettre aux fêtards de rentrer après leurs virées en discothèque. Et puis tout le monde n'est pas couché car de joyeux éclats de voix s'élèvent depuis un mobile home qui jouxte le terrain de tennis. Abbygail me suit comme mon ombre, pas même besoin d'une laisse pour la promener sans risque. Et de mon coté je marche tranquillement comme si de rien n'était, évitant du mieux que possible d'avoir l'air suspect, sans jamais perdre de vue la terrasse du restaurant où le puits n'attend que moi. Une fois enfin arrivé sur l'objectif, je pousse un long soupir tout en balançant un regard sur 360 degrés. Puis j'extirpe hors de ma poche mon petit porte monnaie, je récupère la plus petite pièce, en l'occurrence cinquante centimes que je sers fortement dans ma main comme si ma vie en dépendait. Les yeux fermés, je me mets à penser à ce que je souhaite le plus au monde et immédiatement je jette la pièce dans l'ouverture ténébreuse. S'ensuit un «plouf» à peine audible et puis...et puis rien du tout. Le néant absolu, un flop monumental. Comment ai je pu être aussi crédule? Même Abbygail me lance un regard d'incompréhension total. Je n'ai plus qu'à prendre le chemin du retour.
-''Accordé!'' S'exclame soudain une voix guillerette dans mon dos.
Ne m'attendant absolument pas à me faire surprendre, je sursaute comme jamais alors que mon cœur menace de jaillir hors de ma poitrine. J'avais pourtant regardé tout autour de moi! Je me retourne donc, préparé à subir les moqueries d'un veilleur de nuit où d'un client noctambule, mais au lieu de ça je me retrouve nez à nez avec une créature non identifiée. Se tenant sur ses deux pattes arrières comme n'importe quel humain, la bête semble posséder une peau verte et écailleuse semblable à celle d'une tortue. Ses yeux sont globuleux, son visage est terminé par une forme de bec jaunasse et une longue tignasse de poils noirs lui descend jusqu'à la nuque.
-''Si tu as la trouille, tu as le droit de faire pipi dans ta culotte. Ce ne sera pas la première fois, pas vrai Jeff?''
-''C...c....comment savez vous mon nom?''
-''Allons, je serais un bien piètre kappa si je n'étais pas au moins capable de faire ça.''
-''Un kappa?'' Répondis je, n'ayant jamais entendu parler d'une telle chose auparavant.
-''Un génie des eaux, si tu préfères. Et je disais donc que je veux bien t'accorder ton vœu.''
-''Mais je ne l'ai même pas dit à voix haute.''
-''Comme si un tel détail pouvait bien me déranger. Ta phrase c'était: «j'ai des bonnes notes à l'école, je suis un enfant sage mais quoi que je fasse, mes parents ne sont jamais contents, ils sont toujours sur mon dos et n'attendent que le moindre faux pas m'enfoncer en public ou me coller des baffes. Alors je souhaite juste avoir la vie que je mérite».'' Malgré la présence de son bec, je devine un sourire sur le visage de la créature. ''Je passe mes journées à entendre des vœux plus futiles les uns que les autres. On me demande la richesse absolue, on me demande la vie éternelle, on me demande la mort d'un patron ou d'une belle mère. L'autre jour il y en a même un qui m'a demandé le pouvoir de voler dans le ciel. Celui là je l'ai changé en moustique. Et tu sais pourquoi? Parce que l'impossible ne s'échange pas contre une simple pièce! En revanche, ton cas est différent. Tu n'es pas attiré par la facilité, tu ne jalouses personne, ton âme n'est pas corrompue par l'égoïsme, l'orgueil ou la cupidité. Oui, je vois dans ton cœur toutes les misères que tes parents te font subir au quotidien, toute cette violence psychologique pour faire de toi leur fierté alors que ton parcours aurait déjà de quoi rendre envieux bien des parents. Et malgré tout tu ne leurs souhaite aucun mal.''
-''Ce sont mes parents et je pense qu'au fond d'eux ils sont persuadés de bien faire...''
-''Mais à trop devoir te comporter comme un adulte, il arrive un moment où tu as besoin de faire une pause, de te comporter comme un bébé pour faire redescendre la pression.''
-''Oui, c'est exactement ça.''
-''Alors mon jeune ami, si tu le souhaites toujours, je peux changer ton destin, t'accorder la vie dont tu as toujours rêvé car ce que tu demandes n'est qu'une juste contrepartie. Es tu toujours partant?''
-''Bien sur que oui.''
-''Très bien.'' Conclue alors le kappa en plaçant deux mains palmées glaciales sur mes épaules. ''Et pendant que j'y suis, je vais aussi exaucer un deuxième souhait. Après tout, il n'y a pas que les humains qui ont le droit à un nouveau départ...''
J'entreprends de mon tourner vers Abbygail mais c'est comme si mon corps ne me répondait plus. Des picotements se mettent à envahir ma nuque, je sens chacun de mes muscles devenir aussi mou que de la guimauve, mon esprit s'évade et malgré le fait que je m'en rende compte, je ne peux absolument pas lutter. Une seconde plus tard j'ai déjà perdu connaissances.

Au fond du puitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant