Chapitre 1

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Je m'appelle Jeff et je suis né dans un village d'à peine 300 habitants perdu au cœur de la campagne. Les premières années de ma vie sont sans réel intérêt, je vis ma vie de bébé, coincé entre un père bourru dont les mains caleuses sont aussi dures que la pierre et une mère autoritaire quasiment dépourvue d'instinct maternel. En grandissant j'apprends à filer droit, j'évite de faire des bêtises car dans ma famille les claques et les fessées peuvent tomber plus rapidement que prévu. Je dirais même que mon père était à moitié Lucky Luke, dégainant à la vitesse de l'éclair et ne ratant jamais son coup, et moitié George Bush, pratiquant la frappe préventive au moindre soupçon. Je découvre aussi les joies de la scolarité au sein d'une petite école maternelle rurale. Sorti de la maison, l'école est pour moi un nouveau monde où la gentillesse des maîtresses a remplacé le climat de rigidité familiale. Les années passent, j'enchaîne avec l'école primaire et les cours de CP où j'apprends à lire et à écrire en m'amusant, ignorant encore qu'à la fin de l'année scolaire ma vie va prendre un nouveau tournant.

Arrivé en CE1, ma mère, infirmière à l'hôpital départemental, vient d'obtenir une promotion comme cadre de santé mais son nouveau contrat inclut la possibilité d'être appelée en urgence et cela nous force à déménager en plein milieu de l'année scolaire. J'ai à peine le temps de dire adieu à mes copains et sans la moindre pitié je me sens comme déraciné à cette campagne que j'aimais tant. Et le plus triste c'est que mes parents se moquent pas mal de cette tristesse qui me ronge et sous prétexte que je suis un garçon, ils m'imposent de retenir mes larmes pour ne pas leur faire honte. Mais en vérité, tout ça n'aurait été qu'un détail insignifiant si ce déménagement ne m'avait pas contraint à continuer ma scolarité dans l'école primaire du quartier, un établissement cauchemardesque. Les murs de cette école étaient délabrés, recouverts d'une peinture qui s'écaillait, usée par le soleil et qui n'avait pas du être refaite depuis le passage de Napoléon Bonaparte en 1804 lorsqu'il avait bâti cette ville. Dans la cour de récré, pas de jeux ni d'accessoires. Il n'y a qu'un ballon de foot et ceux qui n'aiment pas ça n'ont qu'à jouer aux billes. Quant à la cantine, ce n'était sûrement pas là dedans que passait tout le budget de l'école.

Mais le pire de tout c'était l'état des toilettes. L'école n'étant pas bien grande, elle n'était équipée que d'un seul espace de commodités, situé entre la cour et le préau. Pas de séparation entre le filles et les garçons il y avait juste trois urinoirs et deux espaces privatifs réservés aux filles pour qu'elles puissent elles aussi soulager leurs vessies, sachant que ses cabinets servaient aussi aux deux sexes pour la grosse commission. Depuis la cour de récré, à peine franchie la porte, l'odeur d'urine macérée avait le don de nous prendre à la gorge aussi efficacement qu'un gaz lacrymogène. Le carrelage en était imbibé et les lieux ne devaient pas être nettoyés bien souvent. Et ce n'était que le début. Moi qui n'avais jamais voyagé, jamais encore je n'avais entendu parler des toilettes «à la Turque». Je compris alors deux choses fondamentales: la première c'est que pour la grosse commission, le but du jeu était de viser le trou du mieux que possible tout en sachant pertinemment que notre orifice de sortie se trouve situé dans l'angle le plus mort que connaisse le corps humain. Et la deuxième chose, c'est que visiblement mes camarades n'étaient pas doués à ce jeu là. C'était une véritable porcherie, sur le sol et sur les murs, partout des traces de caca qui avait giclé et fini par sécher. Et dans l'un des deux cabinets il y a même un étron entier à l'endroit où il fallait poser ses pieds. Et comment baisser son pantalon sans prendre le risque qu'il n'entre en contact avec le sol immonde? Et que faire en cas de chute? Autant ne pas y penser...

N'ayant pas pour habitude de garder ma langue dans ma poche, je ne me suis pas laissé démonter, j'ai décidé d'aller me plaindre au premier instituteur venu. C'était monsieur Lantier celui qui était en charge des CE2 et qui hélas occupait aussi le poste de directeur de l'école primaire. Mesurant un mètre quatre vingt dix, il dominait par sa taille toute la cour de récré et lorsqu'il se pencha sur moi, je sentis son regard froid me transpercer jusqu'à la moelle épinière:
-''Je...je trouve que vos toilettes sont vraiment dégoûtantes.''
-''Ah? C'est toi le nouveau, n'est ce pas? Celui qui vient d'un village de bouseux?''
-''C'est pas un village de bouseux!''
-''Laisse moi rire. Dans ce patelin il y a deux fois plus de vaches que d'habitants. Alors maintenant je vais t'expliquer une chose, monsieur le bouseux. Si tu n'es pas content, tu n'as qu'à le faire savoir à tes petits camarades. C'est fini la maternelle, vous avez l'âge de prendre vos responsabilités et si vous n'êtes pas capables de garder vos toilettes propres, ce n'est pas mon problème.''

Vous l'aurez compris, ma première journée a été un véritable calvaire. Comme si ce n'était pas déjà assez compliqué de s'intégrer dans une école inconnue au beau milieu d'une année scolaire. En classe je fus placé à coté du petit plaisantin nommé Maxime. Nous étions deux élèves par table et ce dernier avait été mis tout seul afin d'éviter les bavardages. Telle une délivrance il m'accueille donc avec sourire et semble heureux de pouvoir à nouveau discuter avec quelqu'un. J'en profite pour échanger avec lui quelques infos au sujet des toilettes.
-''C'est clair que les chiottes à la turque elles sont galères.'' Me répond il. ''Et encore, nous ça va parce qu'on peut faire pipi debout. Imagine si on était des filles...''
-''Elles sont pas galères, elles sont surtout hyper dégueu. Purée, rien que l'odeur elle me donne envie de vomir.''
-''J'avoue qu'au début on était tous un peu comme toi mais tu verras, on s'y fait vite. Nous maintenant quand on y va, on y fait même plus gaffe.''
-''Mais elles sont jamais nettoyées ou quoi?''
-''La femme de ménage passe un petit coup de jet d'eau tous les soirs, c'est tout. Elle en a parlé avec le dirlo et il lui a répondu de ne pas insister, qu'elle aurait beau laver à fond tous les jours, le lendemain ce redeviendrait aussi crade que la veille. Du coup maintenant elle s'en fout.''
-''C'est trop abusé...'' Soupirais je.
-''Oui mais des fois c'est drôle. Tu vois la fille qui est toute seule à sa table, là bas?'' Dit il en pointant du doigt une petite brune à lunettes assise au deuxième rang. ''C'est Amélie mais ici tout le monde l'appelle la moufette parce qu'elle pue. Elle a pas d'amis, elle est toujours toute seule parce qu'il n'y a pas une semaine où elle ne fait pas sans culotte.''
-''Comment ça? C'est une trisomique ou quoi?''
-''Non, c'est juste que c'est la seule fille de toute l'école qui arrive même pas à entrer dans les toilettes. Rien que de faire un pas à l'intérieur ça lui donne envie de gerber. Du coup même si elle a envie d'aller aux chiottes, elle essaye de se retenir toute la journée mais y'a des fois où elle craque. Le pire c'est quand elle chie dans sa culotte, ça horrible tellement ça pue dans la classe.''
-''Trop la honte. Et ses parents disent rien?''
-''Non. Je crois qu'ils ont essayé de se plaindre au dirlo mais comme d'habitude monsieur Lantier il a rien voulu savoir. Monsieur Lantier c'est un vrai psychopathe. Et le pire c'est que l'an prochain on sera dans sa classe et ça risque d'être la misère parce qu'il adore donner des punitions à tout le monde. Alors qu'ici avec Madame Moreau on peut faire à peu prêt ce qu'on veut. Et puis pendant les récrés, nous on se marre bien. Tu verras, l'école est vraiment naze mais au moins on rigole.''


Le reste de la journée vint confirmer les dires de mon camarade à propos de la bonne ambiance qui régnait et lorsqu'à 16h la fin des cours fut annoncée, c'est à la fois soulagé et tendu que je pris la route pour rentrer chez moi. Soulagé parce que je m'étais déjà fait quelques copains, et tendu parce mes intestins me rappelaient à l'ordre depuis un petit moment. Étant plutôt du matin concernant la vidange intestinale, je m'étais retenu toute la journée plutôt que tenter l'aventure de m'accroupir dans celles de l'école. Comme me l'avait expliqué Maxime, j'allais avoir besoin d'un temps d'adaptation pour pouvoir les utiliser sans risquer l'évanouissement par suffocation. Mais le plus urgent était de rentrer à la maison. A présent que nous vivions en ville mes parents n'avaient pas jugé utile de m'inscrire à la garderie. Je n'avais que sept ans mais puisque la maison n'était située qu'à cinq cent mètres de l'école, ils avaient tous les deux estimés que j'étais assez grand pour revenir à pied, tout seul. Le trajet se fit sans encombres et une fois passé le seuil de la porte, je me retrouvais toujours aussi seul, ma mère débauchant à 18h, mon père une bonne demie heure plus tard. En cas de problème j'avais pour consigne d'aller sonner chez les voisins et en attendant je n'avais qu'à squatter le canapé pour regarder la télé. Mais mon premier réflexe fut de me rendre aux toilettes pour soulager mes entrailles. Et du fait que j'avais passé la journée entière à serrer les fesses, le fond de mon caleçon est décoré d'une très légère trace brune, mais rien de bien méchant. Du moins c'est ce que je croyais.

La moufetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant