Chapitre 1

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La nuit commence à tomber et c'est assis tous ensemble autour d'un feu de camps que nous évacuons le stress des examens. Cette petite plage de la côte sauvage vendéenne n'étant connue que par ses habitués, l'endroit y est toujours paisible et il n'y a que le faible clapotis des vagues qui vient interrompre nos rires chargés de soulagement. L'année scolaire est terminée et il n'y a plus qu'à attendre les résultats du bac. Installés sur le sables frais, nous sommes toujours les six inséparables amis passants le plus clair de leurs temps ensemble depuis l'école primaire. A ma droite se trouve Maxime, le bavard compulsif de la bande. A cause de ce trait de caractère, il a passé la quasi totalité de sa scolarité en isolement tout seul à sa table et sans jamais que ça ne lui serve de leçon. Surnommé «le morpion», Max ne supporte pas la solitude et il est incapable de faire la moindre chose tout seul. C'est un besoin vital pour lui d'avoir une présence à ses cotés pour travailler ou même pour s'amuser. Du coup il faut toujours qu'il squatte et qu'il s'incruste chez les autres.
A ma gauche, une bière à la main, Fabien ne parle que de son club de foot et du nouveau poste que lui a donné l'entraîneur. Il faut dire que cet éternel petit blondinet est bien plus passionné par le football que par ses études. Il n'a qu'un seul but dans la vie: celui de tacler les chevilles de ses adversaires en évitant le plus possible de se prendre des cartons rouges.
Puis en face de moi Mickaël et Julien, deux faux-jumeaux qui n'ont pas grand chose en commun. Mika est plutôt baraqué, sportif et musclé mais pas spécialement studieux. Il rêve de faire l'armée mais n'a pas spécialement envie de risquer sa vie pour son pays. Il préférait être CRS et envisage sérieusement de préparer le concours pour entrer dans la gendarmerie.
Son frangin lui est une tête d'ampoule, un futur ingénieur ou un futur rat de laboratoire. Là où j'ai sué sang et eau pour accrocher une moyenne de 16,09 au bac littéraire et satisfaire mes parents, sans forcer Julien a lui décroché 18,5 à son bac S et ça sans la moindre pression parentale. Typiquement le genre de mecs à vous dégoutter de bosser. Heureusement Julien a aussi le triomphe modeste et si je devais le comparer à quelqu'un, mon choix se porterait sur Roger Federer: un génie dans son domaine mais pas la moindre trace d'arrogance dans son comportement, avant même d'attirer le respect il fait toujours en sorte d'attirer la sympathie.
Enfin il y a Kate. Depuis le CM2 Catherine c'est la fille de la bande. Et si elle a toujours traîné avec nous, c'est justement parce qu'elle n'a jamais supporté les autres groupes de filles. Ne lui parlez pas de comédies romantiques ou de magasines people, vous risqueriez de vous faire envoyer promener avant d'avoir terminé votre phrase. Son truc à elle ça a toujours été le skateboard et les films d'action. Pour plaisanter elle dit que plus tard elle veut faire «Lara Croft». La vérité c'est qu'elle même ne sait pas trop vers quoi se diriger, mais vu qu'elle aime encadrer les jeunes de sa famille, elle se verrait bien animatrice dans un centre de loisirs ou dans un parc d'aventures. Et avec elle les gamins auront intérêt à filer droit.
Et puis il y a moi. Jeff, alias «la truffe», catalogué comme le comique de service. Il faut avouer que c'est un peu de ma faute puisque j'adore faire des conneries. La dernière en date? Pendant une récré j'ai badigeonné d'encre bleue les oculaires du microscope de notre prof de physique chimie. Ça a bien fait rire tout le monde lorsqu'il s'est redressé avec le contour des yeux en mode «panda», du moins ça a fait rire tout le monde sauf le prof. La semaine d'avant j'étais arrivé en classe avec un t-shirt à l'effigie du groupe «Pink Floyd» sur lequel on pouvait lire en gros: «Hey teachers, leave the kids alone!» Le vieux réac qui nous servait de prof d'espagnol n'avait pas du tout apprécié, mais heureusement le conseiller principal d'éducation n'avait pas trouvé ça si provocateur que ça. Une chance pour moi qu'il aimait la bonne musique. D'ailleurs il avait pris l'habitude de passer l'éponge sur mes coups d'éclats, cela pour la simple raison que ma moyenne générale plutôt bonne montrait l'exemple aux autres. Mais moi les autres je m'en moquais pas mal, je voulais juste faire marrer mes potes.

-''T'es bien silencieux. C'est bizarre, ça ne te ressemble pas.'' Me fit remarquer Kate alors que j'étais dans mes pensées depuis un certain temps. ''Toi tu penses à Lucie, hein?''
Lucie, c'était ma petite amie, une jeune fille timide et introvertie qui six années plus tard allait devenir ma femme, mais ça je ne le savais pas encore. Elle avait fait ma connaissance durant une heure d'études libres, une heure où je m'étais encore illustré par mon manque de sérieux. Durant cette heure de permanence qui était partie en vrille, Lucie avait déclaré ouvertement à ses camarades de classe que si elle devait trouver un mec, ce serait tout sauf moi. Sur le coup j'avais considéré cette remarque comme un compliment. Moi le bouffon de service, je n'avais absolument rien en commun avec elle qui ne souriant jamais, ne jurant que par le sérieux et la discrétion. Elle est alors devenue la cible principale de mes bouffonneries et contre toute attente, deux semaines plus tard nous sortions ensemble.
-''Je ne peux vraiment rien te cacher.'' Avouais je à mon amie. ''Avec Lucie on s'est rencontré y'a deux ans, on en ensemble tous les jours, à chaque récré, on révise ensemble et on se voit même le week-end. On peut même dire qu'elle fait partie de notre bande et là brutalement on va se retrouver chacun à 300 kilomètres l'un de l'autre. Elle à Tours, moi en Loire Atlantique, tout ça pour continuer nos études. On ne se verra plus pendant deux ans.''
-''Je ne sais pas si tu es au courant, mais le truc incrusté en haut de ton ordinateur portable, ça s'appelle une webcam. Il faut que je t'explique à quoi ça sert?''
-''Arrête de foutre de ma gueule. Généralement c'est moi le crétin cynique.''
-''Ah? Et tu vois ce qu'on doit supporter toute la journée? Allez, t'en fais pas. Et puis je te connais, même si t'as que ton scooter c'est pas trois cent kilomètres qui vont te faire peur si tu as envie d'aller la voir le week-end. Alors au lieu de penser à ça, pense plutôt à la liberté que tu vas avoir loin de tes parents.''
Un rire nerveux monta soudain depuis le fond de ma gorge et je laissais mon corps partir en arrière pour m'allonger le dos sur le sable, les yeux perdus dans les étoiles. Enfin la liberté, enfin l'indépendance et surtout enfin j'allais pouvoir vivre ma vie de petit garçon comme j'en rêvais quasiment toutes les nuits. Car oui, pas un soir ne passait sans que je ne fantasme sur l'idée de retomber en enfance. Et lorsque l'occasion se présentait, j'adorais m'adonner secrètement à la pratique du pipi ou du caca culotte mais cela ne me suffisait plus. Je voulais tester le pipi au lit, je voulais redevenir un bébé, boire au biberon, dormir avec une peluche et surtout je voulais savoir ce que ça fait de porter des couches. Mais avant tout, la priorité était d'assurer à l'université, sans quoi je risquais d'avoir mes parents sur le dos et c'est tout ce qu'il me fallait éviter pour vivre à fond cette nouvelle existence. Et puis sur le peu de temps libre qu'il allait me rester j'avais aussi mon permis de conduire à préparer. Pas évident de concilier tout ça avec ma vie amoureuse. Mais ce soir là, la priorité était de terminer ma bière et de fanfaronner avec mes amis.


Voici donc les vacances d'été qui commencent mais ce ne sont pas les vacances pour tout le monde. Tout comme l'année passée je fais ma saison estivale «au black» dans une grande surface de bricolage où travaille l'un de mes oncles. Sosie non officiel de Tom Selleck, mon oncle est à mes yeux ce qui se rapproche le plus d'un père, ou du moins ce que le mien aurait du être: un homme qui conseille, qui encadre et qui n'élève jamais la voix ou la main. Un an plus tôt mon oncle m'y avait appris à conduire un chariot élévateur ainsi que les rudiments de la logistique, et en échange d'un salaire je portais les sacs de sable ou de ciment pour les clients, je chargeais leurs coffres et je les conseillais du mieux que possible au rayon quincaillerie. Là bas ma bonne humeur est appréciée et je préfère nettement travailler à nouveau comme vendeur plutôt que de faire comme ma copine: faire le ménage dans un camping de la côte Vendéenne, se lever à 4h du matin pour nettoyer les toilettes collectives où les touristes ont vomi partout et laissé leurs capotes usagées à même le sol.

Pendant ce temps, mes parents s'occupent de tout pour la suite de mes études. Je n'ai pas mon mot à dire, ce sont eux qui commandent. D'ailleurs c'est aussi bien, ça me fait ça de moins à gérer. Pour 400€ par mois ils me trouvent une piaule modeste au quatrième étage d'un immeuble relativement proche de l'IUT et dans laquelle je vais devoir passer les deux prochaines années. Mes parents me payent ce loyer et me laissent encaisser mes allocations étudiantes réclamées ici et là afin que je puisse payer ma nourriture, ma ligne internet et mes autres frais en tous genres. Ma mention très bien au bac m'a d'ailleurs été d'un grand soutien dans l'acquisition de ces petites bourses qui mises bout à bout me permettaient de constituer un bon apport mensuel.

Truffe universitaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant