Nous sommes en 2011, une date qui restera à jamais gravée dans ma mémoire. Depuis l'obtention de DUT, j'ai travaillé dans plusieurs entreprises jusqu'à obtenir le poste tant convoité de responsable logistique. Je suis devenu un adulte, je me suis même marié avec Lucie mais ce n'est pas pour autant que j'ai laissé tombé le monde des bébés. En tant que technicienne de laboratoire d'analyses médicales, ma femme doit souvent faire des nuits ou bien travailler le week-end. J'en profite alors pour ressortir les couches de ma cachette et vivre ma passion le temps de quelques heures. Coté travail, mon job est plutôt tranquille. Quand on est organisé, la logistique devient un jeu d'enfant et ça me laisse tout le loisirs de discuter à la machine à café ou d'aller faire un tour dans l'entrepôt pour m'assurer que tout va bien. Le grand patron me trouve efficace et dynamique, et ceux qui travaillent sous ma responsabilité, me trouvent exigeant mais néanmoins sympathique. De toutes façons, alors que je ne suis qu'un jeune à peine sorti de l'école, je me vois mal expliquer à des manutentionnaires de cinquante ans comment faire leur travail. Alors quand il y a un ordre à faire passer, j'utilise l'humour pour me faire accepter. J'y perds en autorité ce que j'y gagne en efficacité.
Au niveau du personnel, la période des grandes vacances n'est jamais simple à gérer car il faut remplacer ceux qui partent par des intérimaires qui la plupart du temps se révèlent peu efficaces. Alexandre, celui par qui tout est arrivé, entre totalement cette catégorie là. Recruté en urgence, il fait partie de l'équipe qui chargent et déchargent les camions à l'aide de gros chariots élévateurs thermiques. Sauf que lui, il se prend pour un pilote, il n'a qu'une envie celle de rouler à vive allure et de faire des dérapages en poussant des cris de cow-boy pendant un rodéo. Les gars m'avaient signalé sa dangerosité et j'avais moi aussi fait remonter l'information à mon collègue DRH, qui m'avait répondu: «Alexandre travaille vite, c'est tout ce qu'on demande à un intérim. Je ne vais le renvoyer par ce qu'il est efficace.»
Mais ce jour de juillet 2011 a donné tort à mon confrère. Comme tous les lundis matins, je fais un petit tour de l'entrepôt pour vérifier la concordance entre le stock théorique et le stock réel. A trop se baser sur l'informatique on finit par faire des conneries et c'est typiquement le genre de problèmes qui peuvent me pourrir une journée. Et tandis que dans le coin d'une allée de stockage, je discute avec le chef de quai au sujet d'une palette à descendre d'un rayonnage, Alexandre entame une marche arrière pied au plancher sans même regarder dans son rétroviseur. Je n'ai pas le temps de me décaler et l'arrière du chariot me percute comme une auto tamponneuse. Et là, le trou noir. Quand je reprends connaissance, je suis allongé par terre complètement sonné, mon ventre me fait un mal de chien, tout comme mes avant bras. J'essaie de me redresser mais je n'y parviens pas, c'est comme si j'avais avalé trois litres de vodka, ma tête tourne et mon centre de gravité est totalement approximatif. Et puis il y a aussi Greg, le préparateur de commandes qui est aussi secouriste du travail. Il a beau être sous mes ordres, aujourd'hui c'est lui qui m'ordonne de ne pas bouger en attendant l'arrivée de l'ambulance. De toutes façons c'est aussi bien comme ça parce que la douleur ne passe pas, comme si j'avais pris un énorme coup de poing dans le ventre. Le samu arrive moins de cinq minutes plus tard, ils me chargent sur un brancard et me grimpent dans leur véhicule. J'essaie de dire que tout va bien, que je me suis pris des chocs bien plus violents en faisant du skateboard mais c'est à peine si le toubib m'écoute. Le pire, c'est que psychologiquement je me sentais bien avant d'entrer dans l'ambulance, mais le fait de me retrouver allongé dans un lieu clos, le dos à la route sans voir où l'on va et prisonnier du brancard où le médecin me force à rester étendu tandis qu'il s'active comme il peut pour m'ausculter, je vous promets que c'est bien plus angoissant que n'importe quelle montagne russe. En très peu de temps nous arrivons aux urgences et l'on m'y enregistre pour que je passe prioritaire. Le pire c'est que j'entends le personnel médical parler autour de moi comme si je n'étais pas là et c'est très agaçant.
-''Qu'est ce que tu m'amènes?''
-''Accident du travail. Il s'est renverser par un chariot élévateur. Légère perte de connaissances, douleurs dans le bas du ventre mais visiblement pas de côtes cassées et pas de signe flagrant d'hémorragie interne.''
-''Ok, on va le mettre en salle 8.''
Et on me transfère donc sur un lit que l'on fait rouler jusqu'à un compartiments individuels où un médecin de l'hôpital doit me prendre en charge. Sauf que visiblement c'est l'heure de pointe aux urgences et par la porte laissée ouverte j'aperçois des infirmiers courir à droite et à gauche sans jamais s'intéresser à moi. Visiblement je ne suis pas aussi prioritaire que ça.
Voila bientôt dix minutes que j'attends sans avoir vu la moindre personne, mon ventre me fait un mal de chien et pour arranger le tout je commence à avoir envie d'uriner. Et c'est là que le déclic se produit, alors que j'en viens à regretter mes couches pour ne plus avoir à me retenir dans la douleur. En une fraction de millième de seconde, une connexion s'est brutalement établie entre mon accident, mon ventre meurtri, ma vessie qui se trouve au beau milieu de tout ça et mon rêve de porter à nouveau des couches. L'occasion est trop belle, elle ne se représentera pas deux fois dans une vie. Alors, tout comme je le faisais allongé dans mon lit d'étudiant, j'autorise ma vessie à se vidanger. Du moins j'essaie car la douleur parasite totalement l'ordre de décontraction que je lui souffle et ce n'est pas en forçant que j'y parviendrais le mieux. Alors je fais en sorte de m'allonger le plus confortablement possible, je pose ma tête et je ferme les yeux tout en repensant à mon ancien appartement. Et soudain ça y est, je sens l'urine jaillir dans mon caleçon. Le flot est brûlant et la miction n'a rien d'agréable mais je devine que tout est lié au choc que j'ai reçu. En quelques secondes j'ai les fesses et le dos qui baignent dans mon pipi, et c'est à ce moment là que le docteur décide d'arriver.
-''Je...je suis désolé...je crois que je viens de mouiller mon pantalon.''
-''Ah...oui, en effet. Je vais appeler quelqu'un pour s'occuper de ça. C'est vous qui vous êtes fait renverser par un chariot élévateur, n'est ce pas? Est ce que vous avez mal quelque part?''
-''Oui, au ventre.''
-''Sur une échelle de 1 à 10, vous placeriez ça à combien?''
-''Trois si je ne bouge pas, cinq lorsque je respire et facile sept lorsque j'essaie de me relever.''
-''Bon, je vais vous expliquer ce qu'il va se passer. Étant donné que vous vous êtes fait renverser, il y a un risque élevé que vous ayez des fractures pouvant déclencher des hémorragies internes. La procédure m'oblige à vous endormir afin de vous immobiliser le plus possible le temps de passer une radio et un scanner.''
Alors, sans même me demander mon avis, le toubib repéra une veine qui lui plaisait bien et me fit l'injection du premier coup. Et là, deuxième trou noir de la journée.
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Truffe universitaire
General FictionAuteur original : JeffToddler Literature / Prose / Fiction / Family Life / Short Stories / ABDL Cette histoire est la suite de «La moufette»