Jour 4 - Soir : Eurynome

1 0 0
                                    


Prendre la voiture avec Eurydice se révéla sans étonnement assez agréable. Au volant, je lui posais des questions sur les dieux. Elle en savait peu, car elle s'était toujours sentie plus proche des humains. Les divinités qui pouvaient l'éviter n'allaient que très rarement sur Terre et préféraient rester dans de luxueux palaces on ne sait où. Parfois, certains immortels abandonnaient, fatigués de l'éternité et demandaient à mourir ou à se réincarner. Comme ce fut le cas de Bastet, la déesse des chats, souvent considérée comme Égyptienne. Depuis, les félins avaient perdus de leur grâce et se faisaient adopter pour survivre. Bastet, elle, fut, sembla-t-il, réincarnée en Eucalyptus. Mais Eurydice n'avait pas entendu beaucoup plus de ragots. Parfois, une liaison pas assez discrète venait à ses oreilles, mais elle n'y prêtait guère attention. Elle préférait étudier les humains, suivre leurs vies, leurs histoires, leurs échecs, exploits et désillusions. Il était rare qu'elle ai l'occasion d'intervenir. Se fondre dans la masse. Elle me raconta des faits impressionnants, que les historiens ignoraient qu'ils avaient pu être possibles. Et moi, je buvais ses paroles.

Notre direction était Venise. Il fallait que j'y retourne, car Eurynome semblait y avoir élu domicile cette année. Il changeait tout le temps. Je me sentais un peu idiot d'avoir dû faire des allers-retours, mais sans doute était-ce plus prudent pour échapper à Belzébuth et sans doute Ukobach ignorait que je devrais retourner sur les canaux pour le trouver au moment où il me conseillait. Et surtout, je m'estimais heureux de ne pas avoir à aller loin. Il ne me restait plus que 9 heures. Déjà qu'il en fallait une à deux pour rejoindre Venise, alors imaginez si j'avais dû changer de continent ! Ou ne serait-ce que de pays ! L'année précédente, mon potentiel sauveur habitait en Afrique du Nord, dans un village perdu dans le Sahara... Ma guide elle-même ne se souvenait plus de quel côté de frontière algéro-libyenne il était. Je l'avais échappée belle, à 5 mois près.

Au final, revoir Venise me soulagea. Je connaissais déjà un peu la ville, je me sentais moins perdu. Ma guide avait aussi une influence agréable sur les émotions que j'éprouvais. Elles se différenciaient de plus en plus, étaient plus puissantes aussi. Je commençais à comprendre que la fin approchait. Après avoir garé ma voiture, nous avons commencé les recherches. Il était un peu moins de 17h. Sept heures restantes... Eurydice ne savait pas en pratique où trouver Eurynome. Elle n'avait qu'une indication, donnée par le prince de la mort en personne :

Entre le Rialto et la Place Saint-Marc,
Loin des touristes,
Dans un coin sombre.

Autant dire qu'on avait un quartier entier à explorer. Je commençais par prendre en aide une carte touristique de la ville (elle se retrouva assez inutile). Nous fîmes une dizaine de fois le trajet entre le Campanile sur la place et le plus grand pont du plus grand canal, le Rialto. Aucun endroit ne nous semblait sombre et, pire, aucun endroit ne nous semblait dépourvu de touristes. Il fallut attendre que le soleil descende un peu, que l'ombre s'étende sur la ville, pour que quelques coins se mettent à attirer notre attention. Des zones vidées de toute présence humaine, des ponts solitaires lugubres parsemés de feu follets flottant, chassaient petit à petit le désespoir qui commençait à s'installer. Il était 22h, nous avions cherché en vain cinq heures durant. La nuit nous apportait comme à son habitude des réponses concrètes. Mais la fin de la tournée de mon ami Ukobach approchait. Enfin, le lieu où Eurynome pouvait se trouver se dévoila à nos yeux. À un endroit, au milieu du quartier, il y avait une rue un peu moins large que partout ailleurs. On passait sur un pont et une mini-place se dévoilait à nos yeux. Plus ou moins : on y voyait principalement des touristes, que nous fuyions. Mais la place s'allongeait progressivement sur la droite tout en rétrécissant, et un trottoir minuscule et légèrement surélevé au-dessus de l'eau guidait à un autre pont à la courbe parfaite. En face de celui-ci, à gauche, la plus petite ruelle jamais vue. Plus important, si on tournait à droite en sortant par l'autre côté, il y avait un tunnel de plus d'un mètre de haut, au milieu d'une maison, d'où venait une odeur de pisse et qui tenait tant bien que mal grâce à des poutres pourrissantes. En l'empruntant – ce qui n'était possible que si l'on était agile et que l'on pouvait aisément se pencher – comme moi – ou si on était petit juste en baissant la tête – comme Eurydice – on arrivait dans une cours intérieure d'un tout autre style que la demeure des Capulet à Vérone.

MoriaturOù les histoires vivent. Découvrez maintenant