La seule femme à bord

Chapitre I

Très loin de là, dans l'espace et dans le temps, Cualli se réveilla en sursaut. Elle venait de faire un rêve assez étrange. Il s'agissait d'une nuit sombre... Probablement une nuit de demi-lune. Tout a coup, un hurlement retentit. Et puis elle s'était réveillée. Sans doute un de ces cauchemars qu'elle faisait si souvent.

Cualli décida de s'habiller et de descendre l'escalier jusqu'au premier étage, puis jusqu'à la cuisine. Son travail dans cette maison était de faire des tâches domestiques comme apporter le petit déjeuner, faire les courses, faire la toilette de la duchesse, aider à la cuisine, s'occuper du linge et toutes sortes d'autres trucs ennuyants. En plus de devoir supporter les leçons de Mme Ragondin qui essayait de lui donner, d'après elle, ''une base d'éducation pour une idiote de 12 ans comme toi''.

La seule personne qu'elle aimait vraiment dans cette maison, c'était Flora. Flora était la cuisinière, probablement d'origine française, ce qui était assez incommun en Espagne.

Dans la villa Coronado, il y avait plusieurs habitants : bien sûr, le duc et la duchesse de Coronado, Flora, Cualli, Mme Ragondin, Clindernam, le serveur, trois autres domestiques, dont une femme de charge, un valet d'écurie et un valet de chambre. Carlos, le duc de Coronado, avait aussi récemment renforcé la sécurité en installant deux gardes devant l'entrée de la porte, qui ne devaient laisser passer que le personnel de la maison. Cela faisait au total dix habitants dans la villa.

Ce qui veut dire que dans la villa Coronado, le duc et la duchesse on neuf personnes qui leur obéissent au doigt et à l'œil. Cela se voit, ce ne sont pas des gens normaux...

Cualli alla donc chercher les fruits, les céréales, les crêpes et tous les composants du petit déjeuner, puis elle s'assit à côté de la duchesse pour manger ses œufs brouillés. La duchesse engagea la conversation :

- Demain est le divin jour de l'anniversaire de Carlos. Je veux que vous alliez faire les courses au marché. Mais avant cela, prévenez la cuisinière et passez dans mes appartements.

- Bien sûr.

Cualli avala le reste de ses œufs, débarrassa toutes les assiettes de la table, enleva les restes, fit la vaisselle, la rangea de nouveau dans l'armoire et remit le vase de fleurs sur la table. Puis, elle avertit Flora de l'anniversaire qui approchait :

- Flora, ''demain est le divin jour de l'anniversaire de Carlos'', dit – elle en imitant, d'une façon surprenante, la duchesse.

Cualli lui avait dit cela en lui faisant un clin d'œil. Flora éclata de rire et elle dit :

- Du coup, c'est moi qui vais au marché ou c'est toi qui t'en occupe ?

- J'y vais ne t'inquiète pas !

- Ok. Alors emmène cette liste.

- Génial ! Merci !

Quelques minutes plus tard, Cualli monta dans les appartements de la duchesse de Coronado.

- Ah vous voilà enfin ma chère.

- Oui.

- Pour aller au marché vous allez mettre cette robe.

La duchesse montra une de ces extravagantes robes rouges a points noirs, pleines de froufrous et d'autres ornements désagréables.

- Excusez-moi de me montrer indiscrète, mais pour quelle raison ?

- Parce que je souhaites vous voir avec une apparence convenable, pas avec ces vieux torchons cousus ensemble !

La duchesse avait touché un point sensible. Cualli ne revêtait pas des vieux torchons cousus ensemble, mais un joli pantalon et un haut blanc accompagné d'un corset rouge. Elle chaussait des bottes et avait de longs cheveux bruns attachés en chignon par un petit bracelet d'or. C'était une tenue qu'elle avait fabriquée elle-même.

Cualli prit donc la robe et sortit de la pièce. Une demi-heure plus tard, elle rentrait du marché, le panier plein et se prenant les pieds dans sa robe.

Pour accéder à la cuisine de la villa Coronado, il faut d'abord traverser le hall d'entrée, aller au bout d'un couloir, passer devant le placard à balais et par la salle à manger. Pourtant, quand Cualli arriva au niveau du placard, elle entendit des éclats de voix dans la salle à manger, probablement une conversation entre le duc, Carlos et la duchesse, Isabella :

- Isabella, on ne peut pas la garder et tu le sais !

- Je suis de ton avis, mais comment nous en débarrasser ?

- Sur ce, j'ai ma petite idée... Écoute. Demain, la malédiction qui est tombée sur cette maison il y a 11 ans sera éliminée !

Les murmures qui suivirent échappèrent à l'ouïe de Cualli, mais elle comprit qu'il fallait agir. Elle n'eut que quelques secondes pour ouvrir le placard, jeter le panier a l'intérieur, rentrer dedans et fermer la porte. Au moment où la porte du placard se refermait, celle de la salle a manger s'ouvrit a la volée pour laisser passer le duc et la duchesse de Coronado.