Chapitre 2

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Tout au long du trajet, ma mère m'assène de son discours moralisateur.

- Charlotte, je te rappelle que tu rentres en classe de première. Il est très important que tu te mettes à travailler dès le début cette année si tu veux pouvoir grappiller quelques points en plus pour ton bac. Essaie d'être un peu plus consciencieuse et organisée. Et par pitié, arrête d'éparpiller tes cours sur le sol de ta chambre. Comment veux-tu y arriver avec cette méthode de travail...

Mais je ne l'écoute qu'à moitié. Je suis totalement absorbée par la douce mélodie qui se déverse dans mes oreilles. Lorsque je me sens un peu nerveuse, comme aujourd'hui, le seul remède qui peut calmer mes nerfs se niche au sein de mon iPod. Je lance un album au hasard de Coldplay, et tous mes problèmes semblent s'évaporer sous la voix de Chris Martin.

- Charlotte ? Tu m'écoutes ? Il va vraiment falloir que tu apprennes à vivre sans ce fichu téléphone me crie-t'elle aux oreilles, entre deux notes de Clocks.
- Ce n'est pas un téléphone maman, c'est un iPod. Et oui, je t'écoute. J'ai compris. Tu m'as répété ce discours des milliers de fois cet été, lui réponds-je en levant secrètement les yeux au ciel.

Une énième remontrance de sa part plus tard, la petite voiture de ma mère se gare enfin devant l'immense portail bleu de mon lycée. Après un rapide bisou associé à de derniers conseils sur le bon-déroulement de ma journée, j'arrive enfin à sortir de l'habitacle de la voiture, dans lequel je commençais à étouffer sous le poids des recommandations. À peine sortie, j'aperçois de loin ma meilleure amie se diriger vers moi, perchée sur ses hauts talons. Je ne peux réprimer un sourire en la voyant. Nous sommes tellement différentes mais pourtant complémentaires.

Manon est grande, blonde, pulpeuse et possède de magnifiques yeux verts en amande. Tandis que j'aime me faire discrète, elle est extravertie et s'habille toujours avec les derniers modèles colorés. Je suis consciente que lorsque nous rentrons dans une pièce, tous les regards sont braqués sur elle et, qu'à côté d'elle, je ressemble à une petite boule brune. Mais cette sensation me plait. Il faut dire qu'elle sait remplir une pièce à elle seule, de par son physique, mais également de par sa manière de se déplacer, de s'exprimer, de bouger. Mais cela ne me dérange pas. Je n'aime pas l'idée d'attirer l'attention et je préfère de loin qu'elle soit le centre des intérêts. Cela me permet d'être en retrait afin de pouvoir analyser chaque situation. Elle est le corps, je suis l'esprit. Et je pense que cette situation lui convient parfaitement également.

Nous sommes amies depuis la classe de 6ème, où nous étions voisines de classe. Dès le premier jour, nous nous sommes entendues. Son caractère déjà excentrique à l'époque a tout de suite suscité en moi un vive intérêt mêlé à de l'admiration. Un mois après, les professeurs nous changeaient de place. Un an après, ils décidèrent de nous séparer. Mais cela ne fit que renforcer notre relation, qui s'est transformée, au fil des années, en une vraie amitié, forte et solide à la fois.

Lorsqu'elle arrive à ma hauteur, elle me prend dans ses bras et hurle à mes oreilles :
- Tu m'as tellement manquée cet été ! J'ai tellement de choses à te raconter. Il m'est arrivé des trucs de ouf !

Cet été, Manon est partie deux mois à Seattle afin d'approfondir sa maîtrise de l'anglais. D'après les mails qu'elle a pu m'écrire, je pense qu'elle a davantage approfondi l'espèce américaine plutôt que la langue en elle-même.

Sur le chemin menant dans notre cour, je la taquine :
- Je serai ravie d'entendre tous les progrès que tu as fait en deux mois de langue anglaise...
- Et encore, tu ne sais pas de quoi tu parles, me lance-t'elle avec un clin d'œil.

Que veut-elle dire par-là ? A-t'elle sauté le pas avec un garçon ? Moi qui n'ai même jamais embrassé un garçon de ma vie, cela me semble juste impensable !

Arrivées dans notre cour, nous saluons plusieurs autres amis, qui patientent déjà avant l'appel du proviseur visant à définir les classes. Commencent alors les classes des secondes, marquées par des cris de joie mais également par des soupirs de mécontentement. Je me souviens avoir ressenti plus d'une fois cette déception de prérentrée, signifiant qu'une année entière allait se dérouler loin de Manon. Mais cette année, je suis sereine !
- Et j'ai une nouvelle encore plus ouffisime, me dit-elle en me tirant de mes pensées. Louise m'a dit en arrivant qu'il y avait deux nouveaux mecs dans notre classe. Et il semblerait qu'ils soient canons !
- Tu connais les goûts de Louise ! Elle sera capable de trouver canon un mec à partir du moment qu'il a du poil au menton.

Suite à ma remarque, Manon et moi partons dans un tel fou-rire que je suis obligée de me tenir les côtes.

Afin d'éviter de me faire remarquer le premier jour, et les recommandations de ma mère aidant, j'essaie alors de me concentrer à nouveau sur l'appel du proviseur, qui débute cette fois-ci les classes de premières. Reprenant peu à peu mes esprits, je rejette péniblement mon sac rempli de livres sur mes épaules et lève mes yeux encore embués de larmes. A cet instant, je croise un regard noir, pénétrant, qui me scinde jusqu'au plus profond de mon âme.

Un regard qui, en une fraction de seconde, change irrémédiablement la personne que je suis.

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